Fausses factures, faux et usage de faux. Ça commence bien ! Voilà une des paraboles les plus surprenantes de l’Evangile. Détrompons-nous : le Seigneur Jésus ne nous encourage pas à user de malversations pour arriver à nos fins. Pourtant, dans cette parabole, le maître du domaine fait l’éloge de l’esprit habile du gérant malhonnête car il a su assurer ses arrières. Il a su tirer partie de sa position pour assurer son avenir. Comme un parfait mafieux, des créanciers de son maître il a fait ses obligés. 
« Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière » se désole Jésus.
En quelque sorte, Jésus nous invite, non pas à être malhonnêtes, mais à nous montrer aussi habiles que les fils de ce monde, et même plus habiles si possible, mais dans le registre de la vérité et de la charité. Nous devons nous aussi tirer partie de notre situation présente pour assurer nos arrières, pour garantir notre avenir, un avenir heureux. Quels arrières ? Ceux de l’éternité. 
Quelle que soit notre situation de fortune ici-bas, quand nous quitterons ce monde, nous n’emporterons rien. Nous n’avons rien apporté dans ce monde. Nous n’emporterons rien. Comment nous faire des amis qui nous reçoivent dans les demeures éternelles, si ce n’est par l’aumône et par tous les fruits de charité que nous pourrons produire ? Ce que nous porterons au ciel, ce sont seulement nos bonnes oeuvres. L’Apocalypse (14, 13) nous dit, en parlant de ceux qui meurent dans le Seigneur : « leurs oeuvres les accompagnent. » Le bien que nous aurons fait deviendra notre poids de gloire. Nous pourrons regretter amèrement le mal que nous aurons commis. Mais le bien que nous aurons fait, jamais nous ne le regretterons. Il nous permettra d’entrer dans la joie de notre maître. Le seul regret que nous aurons, peut-être, ce sera de n’avoir pas fait davantage. 
Que faut-il faire ? L’aumône, certainement. La générosité envers les plus pauvres est une pratique de charité qui vérifie la vigueur de notre foi. « Si quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, nous dit saint Jean (1 Jn 3,17), voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? » Il y a des devoirs de charité dont l’omission peut être mortelle pour la vie de l’âme. Dans l’Eglise certains ont reçu l’appel de tout quitter pour Jésus : « va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi. » Cette radicalité n’est pas le sort commun. Et ce n’est pas le seul moyen de nous faire des amis avec le malhonnête argent. Il faut également nous souvenir de toutes les paraboles du Seigneur qui font l’éloge de la bonne gestion. La parabole des talents qu’il s’agit de faire fructifier. La parabole de l’intendant avisé que le maître place sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu. L’évangile de ce jour nous dit : « Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Et si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? »
Il est difficile de ne pas recourir à l’argent et aux biens de ce monde pour notre vie quotidienne. Pour beaucoup de gens, de par le monde et même en France, la recherche de l’argent nécessaire pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille constitue une angoisse quotidienne. Quand l’argent vient à manquer par suite du chômage, de la maladie, du surendettement, la honte et le désespoir nous guettent. Il est légitime et bon de désirer vivre correctement, et donc d’avoir des moyens. Il est parfaitement légitime de désirer vivre dans une certaine aisance, d’avoir la fierté de pouvoir offrir une belle éducation à ses enfants, de pouvoir profiter de la vie. Jusqu’à un certain point. Car il y a quelque chose d’ambigu dans notre rapport à l’argent. Il fascine. Peu à peu il s’érige en idole et finit par devenir notre maître, quand la course à toujours plus devient le critère essentiel de nos choix et passe devant des valeurs hautement estimables et durables. Il y a parfois des arbitrages difficiles, par exemple quand pour préserver le bien de la famille on peut être amené à refuser une promotion qui aurait fait gagner plus d’argent, mais aurait fait perdre en qualité de vie. Sans compter les disputes qui naissent souvent à propos des sous. Saint Paul (1 Tm 6,10) nous dit que « la racine de tous les maux est l’amour de l’argent. » A l’échelle planétaire, pour courir après les pétrodollars, on a vendu son âme et on a détruit des pays, pour courir après des agrodollars on n’a pas hésité à détruire des forêts entières. 
La finale de l’évangile nous donne belle leçon de vie : on ne peut servir deux maîtres. Et le mot important est servir. Dans la Bible, le verbe servir revêt souvent une connotation cultuelle. On sert Dieu ou on sert les idoles. Certes on peut et on doit se servir de l’argent, gardons-nous d’en devenir les domestiques. On devient esclave quand la recherche de l’argent domine nos choix, notre affect, quand elle dirige notre vie et s’impose en critère principal de nos décisions. 
« Faites-vous des amis avec le malhonnête argent. » disait Jésus. L’argent peut être gagné tout à fait honnêtement, mais il est malhonnête en soi car il est traite. Et même si on pense servir d’abord le Seigneur, si on pense chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice, l’argent demeure un piège, comme une araignée qui, peu à peu nous tient dans sa toile et par son venin engourdit notre capacité de jugement. Pour y remédier, les Américains, moins complexés que nous par rapport à l’argent, ont placé sur leurs billets de banque une belle devise : « In God we trust. » « En Dieu nous mettons notre foi. » Belle manière de rappeler, chaque fois qu’ils utilisent un billet, que l’argent n’est pas tout, et qu’au-dessus des valeurs mobilières de placement, qu’au-dessus des valeurs boursières, trônent des valeurs éternelles dont la foi en Dieu est le pilier. L’expérience nous apprend que l’argent si précieux soit-il n’assure pas tout. Et le bonheur ne réside pas dans l’accumulation des biens mais dans le partage et le don. Cependant l’intention fort louable de mettre sur les billets de banque une profession de foi ne garantit pas contre les dangers. Car, malgré toutes les protestations de foi apparentes, on peut se demander finalement : « Quel est le Dieu en qui je mets ma confiance ? » N’est-ce pas précisément le dieu argent symbolisé par le billet de banque ? Une petite lettre, un L comme lucre, peut s’immiscer dans la devise. Le « In God we trust » peut se pervertir en « In Gold we trust », c’est-à-dire « dans l’or nous mettons toute notre confiance. » 

Que Dieu nous en préserve. Amen.