Le noviciat

Le noviciat est une étape déterminante. Il peut se comparer au temps des fiançailles, car il ne comporte aucun engagement définitif. Le novice, comme la province, peut à tout moment, comme il est expressément déclaré dès le début, reprendre sa liberté (LCO 183, § 1).

Le noviciat est confié à un « père maître » des novices. Il dure un an complet. Il se déroule dans un couvent. Le père maître a la charge de la formation. Mais c’est le chapitre du couvent, qui au terme du noviciat, votera pour l’admission à la première profession. Ainsi y a-t-il un jeu subtil à trois partenaires : le novice (et le groupe des novices – qui n’est pas sans influence), le père maître et le couvent de noviciat. Chacun doit jouer sa partie et seulement sa partie, mais toute sa partie.

Le père maître tient une place importante dans la province. C’est lui qui connaît les jeunes postulants et les accueille, au noviciat, inauguré par la « prise d’habit ». C’est lui qui est chargé de former les novices à la vie dominicaine. Il dispose d’un an. Durée courte, mais décisive, suffisante car intense.

Les novices, s’ils mènent la vie du couvent pour les offices et les activités communautaires ordinaires, n’ont ni programme d’étude, ni ministère apostolique. Chaque chose vient en son temps. Souvent le père maître a du mal à refréner les ardeurs apostoliques des uns et les fringales intellectuelles des autres. Il doit faire comprendre que la formation se déploie progressivement, par couches successives, « plan par plan » comme disent les chirurgiens. Le rôle du père maître est d’amorcer cette longue formation qui doit aboutir, au terme, à donner de vrais religieux apostoliques, profondément attachés au Seigneur et à l’Évangile, comme à l’Église, à saint Dominique et à son Ordre.

Le père maître transmet ce qu’il a lui-même reçu. Instructions communes et entretiens personnels s’allient avec ce partage de mémoire si indispensable au stade de l’enfance. Et c’est bien d’une enfance qu’il s’agit, une enfance qu’il ne faut pas manquer, dont il ne faut pas faire l’économie. Le Seigneur ne demande-t-il pas à ses disciples de devenir comme des enfants, s’ils veulent accéder au Royaume des cieux ? Devenir un enfant est un rude labeur qui demande écoute, humilité et obéissance.

Et ce n’est pas simple pour de jeunes religieux, pleins d’allant auxquels on demande d’être pleinement eux-mêmes, de ne renoncer à aucune de leurs qualités, d’affermir au contraire leur personnalité, et en même temps d’entrer dans cette voie d’enfance spirituelle, de commencer par les commencements. La jeunesse a souvent le sentiment de tout savoir et d’avoir fait le tour de tout. Elle est toujours pressée d’aboutir.

Le père maître doit aider à cette vraie naissance, prolongement de celle que Jésus exige de Nicodème qui n’est plus tout jeune. Il est une sorte d’accoucheur, très démuni, qui assiste efficacement plus qu’il n’agit positivement. Et c’est à juste titre que l’on parle de « sage-femme », car faire naître est plus qu’une technique maîtrisée, c’est une sagesse ancestrale, un doigté dont dépend toute une vie. Ceux qui savent « faire naître », « mettre au monde » sont recherchés. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Mais le père maître assume tout autant le rôle du père que celui du maître. El comme il n’y en a qu’un qui mérite d’être appelé Père et que nous n’avons qu’un seul Maître, il doit accepter de n’être qu’un instrument et de disparaître au plus vite. Quand le tuteur n’est plus nécessaire, sa présence auprès de l’arbre adulte devient dérisoire. Dans la tradition des frères prêcheurs, le père maître des novices ne dispose pas de l’équivalent des Exercices dans la Compagnie de Jésus, pour l’aider dans sa fonction de discernement. Mais il s’appuie sur une communauté conventuelle dont il doit pouvoir dire : « Voyez ce que les frères vivent ! Faites de même ! » Le noviciat n’est jamais confié à un homme seul, qui tiendrait toutes les clefs de la situation. Sa présence dans un couvent doit permettre une osmose, de façon à ce que les novices s’intègrent dans les différentes composantes de l’Ordre et les intègrent. Le Seigneur les ayant appelés, ils y sont normalement prédisposés et entrent facilement dans le jeu.

Sinon, il faut en lire le message. La communauté ne s’y trompe pas qui voit bien ceux qui s’épanouissent dans cette vie et ceux qui s’y étiolent, ceux qui participent volontiers à ce qui se vit et ceux qui s’y ennuient, ceux qui vivent le noviciat comme une pénible quoiqu’inévitable parenthèse entre une vie de laïc épanouie et une vie apostolique à venir qu’on imagine parfaite. Il n’est pas si facile de vivre au présent, surtout pour nos générations de gens pressés ; ni d’accueillir paisiblement, au rythme lent du pas de l’homme, les événements comme ils se présentent.

Vivre entièrement une année liturgique, se réunir pour prier les psaumes quatre ou cinq fois par jour, consacrer le meilleur de son temps à lire et à méditer l’Écriture, n’avoir pas de soucis majeurs, si ce n’est quelque modeste service d’entretien, n’avoir aucun examen à passer, ni rapport de stage à défendre, etc. Tout cela est un cadeau du ciel, à côté duquel il ne faut pas passer. Sans parler du gaspillage, ce serait manquer une étape essentielle. Le novice doit apprécier le temps du noviciat, comme le fiancé le temps des fiançailles, même si l’un et l’autre aspirent à autre chose. Il ne faut pas lésiner sur les fondations de la maison, ni sur le temps nécessaire pour les poser sur le roc.

Tous les éléments qui meublent ce temps vide du noviciat jouent secrètement leur rôle. Ils favorisent une sorte de mue dont parfois on ne voit les effets que longtemps après. Quand la vie s’accélère, quand il faut mener ensemble études et ministères, avec des responsabilités de gouvernement, sans oublier les observances régulières de la vie commune, ce sont les réflexes acquis pendant cette année de noviciat qui permettent de faire front. Ceux de la prière – personnelle et communautaire -, ceux de la ténacité à rester en cellule et à sa table de travail, celui de se rendre disponible si un frère en a besoin ou si tout autre appel imprévu survient, celui de prendre sa part des charges de la vie communautaire.

Il y a de bons plis que ne perdent jamais ceux qui ont été bien formés, disons… ceux qui sont « bien élevés » ! Il n’y a pas de temps à perdre. Ce sont les pauvres qui par leurs dons et l’appui de leur prière, donnent aux novices le luxe de cette année qui restera la fondation merveilleuse de toute une vie, et d’autant plus merveilleuse qu’elle aura été bien vécue. Les novices ne doivent pas l’oublier et s’en montrer reconnaissants, par le cœur qu’ils mettent à bien vivre ce qu’ils doivent vivre, comme par une prière fidèle pour leurs bienfaiteurs. Déjà mendiants, ils dépendent de la charité publique. Et ils verront, avec émerveillement, combien la divine Providence veille sur eux.

Pendant le noviciat, en dehors des activités conventuelles, il reste encore beaucoup de temps pour inventorier quatre domaines importants : avoir fait au moins une fois une lecture cursive intégrale de la Bible, avoir fait connaissance avec l’histoire de l’Ordre, avoir acquis les fondements de la théologie des vœux de religion et de la vie religieuse, avoir lu de près les Constitutions sur lesquelles les frères feront leurs vœux au terme du noviciat.

Le noviciat a des allures de grandes vacances. Ceux qui le commencent après avoir quitté une vie sur-occupée, sont aussi perdus que s’ils se retrouvaient au désert, ce qui est un peu le cas. Ils se retrouvent devant une immensité de temps et d’espace, sans aucun de leurs points de repère. Il faut tout réapprendre, y compris à marcher en portant la longue et salissante robe blanche des frères prêcheurs !

Mais ce ne sont pas des vacances de tout repos. Outre les tâches déjà énumérées, le noviciat va être une année de profonde remise en cause. Examiner sa vocation et accepter de la mettre en question est une démarche très douloureuse. Car il ne s’agit de rien moins que de vérifier si l’appel vient bien du Seigneur, ou s’il vient « des hommes ». Cela ne veut pas dire qu’il faille soupçonner toutes les motivations qui ont poussé à faire le pas. Il n’y a pas de motivation absolument pure, pas de vocation qui aurait grandi dans une atmosphère sans poussière. Mais il importe de faire la part des choses. Il faut savoir recevoir comme venant de Dieu ce qui n’a de sens et de but que de le servir. Aussi les novices doivent-ils se poser toutes les questions et n’en éviter aucune.. Non pas pour se prouver que l’on a réponse à tout, mais pour accepter de voir en face les situations et les éventuelles difficultés.

Les questions concernant le célibat et la chasteté dans la continence sont parmi les plus inévitables. Elles sont liées à toutes les affections, heureuses ou blessées de son passé. Il y a des situations de rupture, et d’autres qu’il faut assumer. Et tant d’autres questions qui, pour être moins sensibles, n’en sont pas moins importantes. Chacune des composantes de la vie dominicaine pose sa question et demande une mise au point. Le novice, quand il entre au noviciat, a la certitude d’avoir une grande et belle vocation. Une fois entré, il prend conscience qu’il doit re-choisir sa vocation. C’est la vie même qui lui pose la question. Et elle est d’autant plus poignante qu’elle s’accompagne de la possibilité de rompre. Cette possibilité est la condition essentielle de la liberté. Quand il s’engagera dans la vie religieuse et fera promesse solennelle de la mener intégralement, le novice ne perdra pas sa liberté. Au contraire, dans l’acte qui l’engage, il engage sa liberté. Il fait un choix libre. Ne peut dire librement oui, que celui qui a eu la totale possibilité de dire non.

Comme le fiancé ou la fiancée qui n’attend pas de celui qu’il (ou elle) aime qu’il lui dise oui par contrainte, ni pour lui faire plaisir, mais par vrai libre choix, le novice ne doit s’engager que s’il a envisagé sérieusement l’éventualité d’une rupture. « C’est librement qu’aujourd’hui je t’épouse » dit le fiancé ; « C’est librement que je te suis, Seigneur », dit le novice. Et ce n’est pas un aujourd’hui d’un jour, mais de ce jour que le Seigneur me donne à vivre et qui est l’un d’une série dont lui seul sait le nombre.

A côté de ce discernement indispensable et qui doit être bien amorcé pour pouvoir être poursuivi efficacement pendant les années suivantes, le novice est aussi un religieux en formation. On n’attend pas qu’il se soit résolument décidé pour le former, comme dans la Compagnie de Jésus où l’on n’entreprend la formation que de gens déjà irréversiblement engagés.

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