Les critères de discernement

Quels sont les points de repère qui permettent d’analyser si l’on a, ou pas, une vocation dominicaine ?

Il faut dire, avant tout, que l’on n’entre pas dans un ordre comme celui des Frères Prêcheurs, en étant déjà tout formé, ni même en étant entièrement déterminé. La vie religieuse dans cette tradition est une école de formation. Dès le premier jour, prosterné sur le sol devant l’autel du Seigneur dans l’église conventuelle ou au chapitre, au milieu de la communauté qui accueille, le postulant demande en suppliant qu’on veuille bien le recevoir avec miséricorde. Il demande qu’on accepte de le préparer à devenir ce qu’il n’est pas encore, un vrai et bon religieux, plus vrai, le plus utile, le plus solide… Car pour autant qu’il soit certain d’avoir reçu, avec l’Évangile, le meilleur message, il n’est pas certain du tout de savoir le faire passer. N’est-ce pas le grand défi lancé aux Frères Prêcheurs du troisième millénaire ? Non pas inventer un nouveau message, mais trouver un nouveau langage.

Comme il ne s’agit pas seulement de techniques matérielles, si importantes soient-elles et dignes d’être connues et maîtrisées, il faut essayer de trouver les bases plus universelles de l’art de la Prédication..

Place des études

On insiste beaucoup dans l’Ordre de saint Dominique sur l’importance de la formation et donc des études : études initiales et formation permanente. Saint Dominique, en remplaçant le travail manuel qui appartient à la tradition monastique, pousse ses frères, dès la première génération, vers les universités, pour y acquérir de solides bases de théologie. Très vite, après avoir été élèves, ils deviendront des maîtres. La première règle de l’art du prêcheur est, en effet, d’avoir quelque chose à dire. Il doit être assuré sur ses bases et maîtriser sa matière, autant que connaître son auditoire. Il doit avoir, non seulement une bonne connaissance des sources de la Révélation, et de la Tradition de l’enseignement de l’Église hors de laquelle nul ne saurait les lire sans risque d’erreur, mais il doit être au clair sur l’élaboration théologique du contenu de cette Révélation. Car les frères prêcheurs ont reçu mission de l’Église ! Ils parlent en son nom, et non au leur, bien compris, cela n’enlève aucune liberté, d’abord parce qu’il faut espérer qu’ils adhèrent à l’enseignement de l’Église, mais aussi, parce que « le ministère de la Parole est une participation à la fonction prophétique du corps des évêques et c’est pourquoi, avant tout, Il faut que les prêcheurs reçoivent l’Évangile dans son intégrité et recherchent une vive intelligence du mystère du Salut selon la Tradition et l’explication de l’Église. Cet esprit évangélique, cette doctrine solide devront toujours marquer la prédication dominicaine » (LCO 99, § I).

« La vocation dominicaine comporte essentiellement d’enseigner par la parole et par l’écrit la doctrine sacrée et les autres disciplines servant à la diffusion et à l’intelligence de la foi » (LCO 102). Que le frère prêcheur exerce sa vocation dans la prédication, ou dans l’enseignement, voire dans l’accompagnement spirituel et le ministère un prédicateur zélé. Voilà encore un point de vue avec lequel saint Ignace a voulu faire rupture. Pour lui, la mission étant urgente, on n’admettra dans la Compagnie que des gens déjà bien déterminés. Les Exercices donnés dès le départ, permettront cette vérification. Chaque candidat ne dispose ensuite que de deux ans, en tout et pour tout, pour se décider définitivement et prendre un engagement radical et définitif.

Dans la tradition monastique dont saint Dominique hérite sur ce point, la démarche est tout autre. On prend son temps. On sait d’expérience « qu’il faut dix ans pour faire un moine » et davantage pour faire un prêcheur : le temps de la formation initiale, puis les premières années de ministère. La formation est plutôt une transformation. Celui qui entre dans celle vie religieuse accepte d’être transformé par elle. Il garde sa personnalité et son caractère, mais il devient, ou ne devient pas « un religieux ». Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Et pour commencer, il faut vérifier si l’on a les aptitudes requises. Elles seront estimées par deux instances, comme il est normal dans toute alliance, y compris conjugale : le sujet qui postule et l’Ordre qui reçoit. Il faut que les deux s’accordent. Le désaccord serait d’ailleurs à prendre comme un message dont il faut tenir compte. Les critères de discernement sont de deux sortes : les critères objectifs et les critères subjectifs.

Des critères objectifs

Les critères objectifs concernent l’aptitude à vivre les diverses composantes de l’Ordre. Il est clair qu’on ne demande pas au futur chartreux les mêmes aptitudes qu’à un frère des Écoles chrétiennes. Pour être dominicain, il faut accepter volontiers les particularités de cet ordre et pouvoir les vivre. La vie communautaire est le premier et le plus significatif de ces éléments, celui qu’il faut énoncer dès le départ, car il faudra le vivre toute la vie. De même pour les trois vœux . Quant au désir d’annoncer l’Évangile, il est non moins primordial, mais il ne suffit pas, puisqu’il y a dans l’Église tant de manières de porter l’Évangile. A-t-on une vraie passion pour l’Évangile et un désir violent de payer de sa personne pour faire aimer le Seigneur et son Église ? Sinon, il est préférable de s’abstenir. De même, celui qui ne supporte ni la solitude, ni le silence ne doit pas envisager d’entrer à la Chartreuse.

Autre critère objectif, les études. Il n’est certes pas demandé à chacun d’avoir les capacités d’un maître en théologie, mais celui qui n’aurait ni goût, ni aptitudes pour le travail de réflexion et d’approfondissement, devrait envisager une autre voie. Ceci non dans un souci élitiste, mais afin de répondre à ce que l’Église attend des frères de l’Ordre. Celui qui ne saurait y satisfaire risque d’être très malheureux et de ne pas trouver sa place.

Quant à la célébration liturgique des Heures, il est sûr que celui à qui elle pèserait et serait insupportable, serait aussi très malheureux dans un ordre qui en a fait l’axe autour duquel tournent ses journées. Quand les critères objectifs sont vérifiés, par l’une et l’autre partie, le candidat éventuel s’interrogera sur son désir et sa capacité de mener cette vie-là, telle qu’elle est décrite dans les Constitutions. Et l’Ordre, de son côté, vérifiera dans un dialogue serré et après avoir vu vivre le candidat, s’il estime pouvoir le recevoir.

Cette vérification est affaire de métier. Les communautés jouent un grand rôle. Par la pratique, elles acquièrent une sagesse dans le discernement. C’est pourquoi, le bon sens et une sagesse ancestrale commandent de ne pas changer volontiers de couvent de noviciat. Les Constitutions précisent, par exemple : « Le noviciat doit se faire dans an couvent où doit régner une. vie dominicaine vraiment, régulière et apostolique » (LCO 180)

Quant aux critères subjectifs, outre ce sentiment amoureux dont on a déjà parlé, ils concernent l’intuition que l’on a de part et d’autre, qu’on pourra  » durer ensemble « . De même en est-il entre fiancés : ils peuvent avoir tous les goûts et les projets communs que l’on veut, ils peuvent se désirer avec force, s’ils pressentent qu’ils ne pourront pas se supporter à la longue, ils seront sages de ne pas s’engager. La parole donnée ne peut se reprendre facilement, à moins de ne pas croire à la valeur de la parole, ce qui ne saurait être le cas dans cet ordre. Celui qui demande à entrer dans cet ordre pour lequel il a toutes les qualités nécessaires, s’il pressent qu’il y sera malheureux, sera sage de ne pas aller plus avant. C’est aussi ce que doivent conclure les responsables du discernement. S’ils pressentent qu’il ne sera pas possible de vivre avec ce candidat, étant donné ce qu’il est, étant donné ce que sont les couvents de l’Ordre, ils devront avoir le courage de le lui dire, et de trancher.

Et s’ils se trompaient ?

En effet, cela peut arriver, et seul le Seigneur le sait qui discerne en vraie connaissance de cause. Mais, à l’inverse, il ne manque pas d’exemples douloureux de religieux qu’on a hésité à admettre, qui ont eux-mêmes hésité à s’engager, et qui ne trouvent leur place dans aucune communauté, dans aucun ministère. La miséricorde ne doit pas prendre le pas sur la vérité. Le courage ne doit pas céder le pas à la routine. Dans toute décision, il y a un risque. Aussi est-elle toujours prise entourée de prière, et en tremblant.

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