Que pensez-vous de ceci ?

par 27 Sep 20202020, Temps Ordinaire

fr_henri-dominique
« Que pensez-vous de ceci ? »
Par cette simple question, Jésus introduit cette petite parabole des deux fils, propre à l’évangile selon saint Matthieu. « Que pensez-vous de ceci ? » Jésus nous invite à réfléchir, à faire retour sur nous-mêmes, à nous remettre en question. Comme les prêtres et les chefs du peuple, nous sommes prompts à juger les autres, mais nous sommes peu enclins à nous remettre en question. Or, c’est une remise en question radicale qu’il s’agit de faire aujourd’hui. Par le biais des paraboles, Jésus amène ses auditeurs à réfléchir sur leur attitude réelle et non pas leur attitude imaginée. En effet, les paraboles mettent sous forme imagée des saynètes qu’il est facile de comprendre au premier abord, mais toute la finesse réside dans la leçon qu’on en tire. On est mauvais juge pour soi-même. Il faut donc passer par un jugement objectif, une situation qui nous semble extérieure, concernant un tiers, mais qui en réalité se retourne contre nous comme un boomerang. On trouve déjà un stratagème analogue dans la vie du Roi David. Après son double péché, son péché d’adultère camouflé et son péché de meurtre déguisé, Dieu lui envoie le prophète Nathan qui a l’intelligence suffisamment fine pour savoir qu’il ne peut faire un reproche direct au roi. Il raconte une parabole, celle de l’homme riche qui vole l’unique petite brebis de l’homme pauvre. David entre alors dans une violente colère contre l’homme riche et cruel, en disant : « Cet homme mérite la mort. » Et Nathan de lui répondre : « Cet homme, c’est toi ! » Et le roi fait pénitence. Car Dieu veut la conversion du pécheur. Mais il n’y a rien de pire que l’endurcissement du cœur qui provient d’une posture d’autorité. Il n’y a rien de pire que l’auto justification de ceux qui exercent la charge d’enseigner les autres ou de juger les autres, et qui s’enferment dans un aveuglement total sur eux-mêmes. « Que pensez-vous de ceci ? » Aujourd’hui, dans l’Évangile, en choisissant pour juges ceux-là mêmes qu’il accuse comme coupables, Jésus leur ôtent toute espérance d’être absous après qu’ils se seront condamnés eux-mêmes sous la figure de la parabole. Car ils ne comprennent pas au premier abord que c’est contre eux-mêmes qu’ils vont prononcer une sentence de condamnation, comme le dit si bien saint Jean Chrysostome dans son commentaire sur l’évangile. Par la parabole, sous une forme imagée, Jésus fait passer ses auditeurs de l’imaginaire au réel, il brise la fausse image qu’ils ont d’eux-mêmes ou l’image d’hypocrisie qu’ils présentent à leur entourage pour faire bonne figure, alors qu’ils disent et ne font pas. Nous nous retrouvons souvent dans la posture du deuxième fils, nous disons « oui », mais nous sommes infidèles à nos engagements, nous ne sommes pas cohérents avec nos propres convictions. Or, nous serons jugés non sur nos paroles, mais sur nos actes. Le risque est grand de se croire protégé par ce premier « oui » dit du bout des lèvres, dit du bout du coeur, peut-être avec sincérité au départ. Mais devant la fragilité de notre volonté, au lieu de nous repentir humblement chaque fois que nous tombons, nous pouvons succomber à la tentation de nous installer dans une posture mensongère, qui nous fait dériver loin de Dieu, sans nous en rendre compte. L’attitude du premier fils nous ouvre l’espérance de la rédemption. Il avait dit « non », mais après coup, s’étant repenti, il accomplit finalement la volonté de son père. Le repentir est une grande chose. Grâce au repentir, nous ne serons jamais prisonniers de nos refus, de nos péchés, de nos trahisons. Si malheureusement nous avons dit « non », si nous nous sommes éloignés du chemin de Dieu, nous savons aussi que nous pouvons nous laisser rejoindre par la grâce du repentir pour revenir à de meilleurs sentiments. Nous regrettons, nous demandons pardon et nous nous amendons, en produisant un fruit de vie. Finalement, nous allons à la vigne du Seigneur. Qu’est-ce que cela signifie « aller à la vigne du Seigneur » ? On peut penser que cela désigne un service particulier dans l’Église, un engagement spécifique. Pourquoi pas ? Et si nous sommes tentés de refuser d’abord une vocation ou une mission, il est bon et salutaire d’y répondre finalement. Mais les pères de l’Église donnent une explication plus large, dont on ne peut se soustraire en pensant « ce n’est pas pour moi. » Par exemple Saint Jérôme reconnaît dans le premier fils qui dit « non » les nations païennes qui ont vécu loin de Dieu. « C’est d’abord aux nations païennes, écrit-il, que Dieu dit par la voix de la loi naturelle : « Allez et travaillez à ma vigne », c’est-à-dire : ne faites jamais à un autre ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit. » « Que pensez-vous de ceci ? » N’est-ce pas un bon résumé d’une vie chrétienne ?
Dans la lettre aux Philippiens, saint Paul nous exhorte à ne pas être préoccupé de ses propres intérêts, mais à ceux des autres, à se décentrer, à se mettre finalement dans la peau des autres et songer à ce qu’ils peuvent penser ou ressentir. Ayez les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus, lui qui, précisément, a pris notre condition humaine humiliée pour ressentir ce que nous ressentions et pour nous sauver. A côté du premier fils qui dit « non » mais qui fait, et du deuxième fils, qui dit « oui » mais qui ne fait pas, se cache en réalité un troisième fils qui a toujours dit « oui » et qui a toujours fait la volonté de son père. C’est par lui, Jésus, que nous serons sauvés, si nous avons l’humilité de nous regarder en vérité dans le miroir de sa si grande charité. C’est en lui que trouverons le remède à nos trahisons et que nous retrouverons la franchise et l’innocence baptismale. C’est en lui que nous pourrons transformer nos « non » en « oui » fidèles. Car Dieu veut la conversion du pécheur. Le voulons-nous pour nous-mêmes ? « Que pensez-vous de ceci ? »