Ceci est mon Corps, livré pour vous

par 1 Avr 20212021, Homélies, Jeudi Saint, Semaine Sainte

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Depuis un an, le corps occupe une place toute particulière dans notre esprit. « Ne pas toucher. Ne pas s’approcher. Garder ses distances. Effacer toute trace du contact. Le corps est dangereux, il recèle la mort. Il faut le confiner, le rendre inoffensif. L’amour doit vaincre le corps, c’est parce qu’on aime qu’il nous faut nous tenir à distance. » Voilà ce que nous entendons depuis un an.

Jésus, lui, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Il se déshabille, se met aux pieds de ses disciples et les laves. Il touche ce qui est sale et le rend pur. Faites de même. Si moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns des autres. Non pas fuir la contamination de l’impureté, mais s’abaisser dans ce corps à corps qui purifie – voilà ce que Jésus fait ce soir.

Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Plus encore, ce Verbe fait chair devient un corps livré. Donné. Ceci est mon corps, qui est pour vous. Prenez, mangez. Voilà notre salut, celui que nous adorons – Dieu dans son corps et dans son sang. Quelle étrange conversion, mes sœurs, mes frères, Dieu nous propose ce soir. Nous attendons qu’il bouleverse nos âmes, qu’il touche nos cœurs, qu’il change nos esprits. Lui, se met à nos pieds, les lave, lui nous nourrit, et la nourriture qu’il nous donne, c’est Lui-même. Aucune distanciation entre lui et nous. Il vient sans se protéger. Nous le cherchons dans les nuages, et lui, s’abaisse encore et encore. Il nous impose ce changement de regard. Nous attendons parfois de lui qu’il nous fasse échapper à notre vie, qu’il nous plonge dans une douce rêverie, ou dans des sentiments sublimes, dans des pensées nobles et pures. Et c’est son corps qu’il nous offre. Rien n’est plus spirituel que cette chair. Sommes-nous prêts à dire en vérité « Amen » en recevant ce corps offert ?

Seigneur, ne me touche pas ! Ne me touche pas, car je suis un homme pécheur. Toi, le saint, comment peux-tu venir jusqu’à moi ? Tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! – Mais c’est pour les pécheurs que je suis venu. Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Seigneur, ne me touche pas ! Parle à mon esprit, attire mon cœur, mais surtout ne t’approche pas de mon corps. Il est à moi, mon joyaux ou mon tombeau, ma gloire ou mon fardeau, mais il est à moi. Garde tes distances, Seigneur ! – Celui qui créa le ciel et la terre a crée aussi ton corps. Il l’a façonné, l’a béni, l’a destiné à la gloire. J’attends la résurrection des mort, je crois à la résurrection de la chair. Le Corps du Christ qui nous est donné est la semence de la Résurrection déposée en nous. Dans chaque Eucharistie, Dieu nous dit : Je veux que ton corps devienne le temple saint de ma gloire.

Seigneur, ne me touche pas !  Je pressens que si je t’admets dans ma vie, « pour de vrai », tu me mèneras bien plus loin que je n’aimerais aller. Tu me demanderas de te suivre, et ce jusqu’au bout. Tu pourras me demander de devenir ton prêtre, de me donner à ton service, de me perdre pour toi. J’ai d’autres projets… Tu pourras me demander de rester fidèle à cette personne qui a été ma joie, mais qui m’est aujourd’hui une croix et un épreuve. J’ai d’autres projets… Tu pourras me demander ce que ma volonté ne désire pas: tel pardon, tel renoncement, tel engagement. Comment te recevoir, toi, Dieu livré, l’Homme livré, sans me livrer à mon tour ? Seigneur, ne me touche pas.

Et Dieu s’abaisse encore en encore. Sans compter. Sans se plaindre ou faire des reproches. – Ton cœur est tout petit, mange et tu grandiras. Ton âme est à l’étroit, mange et tu deviendras magnanime. Ta vie est resserrée. Mange, reçoit ce corps, laisse-toi toucher et te conduire au large. Au grand large.

Le Corps à corps avec notre Dieu – voilà ce que nous célébrons en ce jour très saint. Il est l’antidote ultime à la plus terrible des distanciations, celle qui nous sépare de notre vraie vie. Recevons-le. Adorons-le. Servons-le par toute notre vie. Ceci est mon corps, livré pour vous. Amen !