Et si la foule avait raison ?

par 8 Mar 20212021, Homélies, Rameaux

fr_luc-thomas

A première vue, elle est tragiquement versatile. Elle acclame Jésus avec des palmes pour crier à Pilate aussitôt après de le mettre à mort, ce qui donne une apparence paradoxale à cette célébration à la fois des Rameaux et de la Passion, avec une liesse qui vire instantanément à l’extrême douleur. Et on ne peut pas dire qu’il y ait foule au pied de la Croix. Quelques femmes dont Marie et un seul apôtre. Cette inconstance n’est-elle pas celle de toute foule ? N’a-t-elle pas frappé même le généreux apôtre Pierre qui déclare aimer Jésus pour le renier après puis s’en repentir amèrement ? Et il n’est pas besoin d’un long examen de conscience pour en trouver trace dans chacune de nos vies. Hosanna ! Crucifie-le ! Quelle contradiction !

Et pourtant, si la foule avait raison… sans le savoir, sans le vouloir peut-être. Comme Caïphe qui dit vrai malgré lui en proférant : « il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » L’Evangéliste Jean note que, ce faisant, il prophétisait : Dieu ne refusait pas de parler bienveillamment par sa bouche malveillante. Il n’est donc pas sûr que les Pharisiens aient toujours raison dans leur mépris arrogant quand ils affirment de cette populace qui croit en ce Jésus : « Cette foule qui ne connaît pas la Loi, ce sont des maudits ».

Allons plus loin : ne sommes-nous pas cette foule ? Rejouons-nous une scène absurde et grotesque au long des siècles dans cette liturgie à deux évangiles : celui de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et celui de son extrême abaissement en sa passion ? Et si le peuple de prophètes que nous sommes avait raison, malgré ses péchés qui crucifient Jésus ? Raison d’être là et raison pas par lui-même mais parce que l’Esprit souffle dans cette liturgie pour nous ouvrir les yeux sur le vrai Jésus ? Supposons que ce soit le cas et que nous ayons raison parce que :« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Aurons-nous moins raison en commençant de savoir ce que nous faisons ?

Nous sommes assurément à un moment charnière. Avant la réforme liturgique le Célébrant était en rouge pour la procession des Rameaux puis revêtait l’ornement violet pour l’entrée dans la Passion. Il est désormais en rouge de bout en bout. L’un et l’autre ont du sens. On peut insister soit sur le contraste soit sur le lien. Suivons cette piste de la liturgie rénovée. « Hosanna au plus haut des cieux. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Frères et sœurs, cette acclamation qui était primitivement une supplication et que l’on retrouve dans le psaume 117 chanté lors de la grande fête de Soukkôt ou fête des Tentes, figure déjà dans la liturgie chrétienne telle que décrite dans un document de la fin du premier siècle – la Didachè et a traversé tous les siècles jusqu’à s’inviter dans chacune de nos eucharisties. Or à quel moment notre rite latin la place-t-il ? La liturgie de la parole une fois terminée vient l’offertoire, puis la préface et enfin la prière eucharistique où s’actualise le mémorial de la passion du Christ. Et précisément à la fin de la préface, à l’entrée donc de la célébration de la passion, nous prononçons ce terme hébreu, quelle que soit la langue latine ou vernaculaire utilisée : Hosanna. Et cela dans le Sanctus : « Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu de l’Univers. Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire. Hosanna au plus haut des cieux. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux. » Frères et sœurs, à ce moment, nous sommes dans la foule de Jérusalem et nous acclamons le Messie. Et peu après nous entendons : « ceci est mon corps livré pour vous », « ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. » Cette liturgie des Rameaux et de la Passion nous la vivons donc, inconsciemment sans doute, dans chaque eucharistie à ce moment charnière de la fin de la préface, de ce Sanctus. Ou, si l’on veut encore, on peut dire que dans toute eucharistie nous vivons cet étonnement de voir que le Messie espéré est le Serviteur souffrant, que ce roi est un roi d’humilité assis sur un ânon, un roi dont la royauté va être raillée, va être défiée. Voilà le béni qui vient au nom du Seigneur ! Si paradoxe il y a il n’est pas simplement imputable à la foule déroutée par ce Messie si attendu et pourtant si inattendu. « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». La foule ne sait pas ce qu’elle dit, mais elle a bien raison de le dire. Car la prophétie s’accomplit. Car le Messie vient nous sauver. Car le Messie vient nous aimer. Car le Messie vient régner dans nos cœurs enténébrés. « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Allons à lui, certes, accompagnons-le jusqu’au Golgotha. Pleurons sa mort et surtout nos péchés qui en sont la cause. Mais pleurons surtout de la joie d’être aimés : « Hosanna au plus haut des cieux. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. »