La manifestation du Salut

par 3 Jan 20212021, Epiphanie, Homélies

fr_luc-thomas

« Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. » L’évangéliste Mathieu, par ces précisions, nous rappelle le concret de l’Incarnation à la manière d’une carte d’identité : un nom – Jésus, un lieu de naissance – Bethléem en Judée, un moment – au temps du roi Hérode le Grand. Cette naissance, un événement considérable qui transcende l’espace et le temps, est d’abord un fait historique discret, intime, même si très vite les bergers et les anges sont associés à la joie de cette annonce : « Aujourd’hui nous est né un Sauveur… Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix aux hommes qu’il aime. » Pourquoi cette première manifestation doit-elle être suivie d’une autre, cette Épiphanie, que nous célébrons aujourd’hui ? La réponse nous concerne au premier chef : parce que doit être dévoilé ce que l’Apôtre Paul appelle « le mystère » : « ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » Ce Sauveur qui est né n’est donc pas le Sauveur seulement de son peuple Israël, mais le Sauveur de toutes les nations, de tous les hommes : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. »

Il nous est précieux, à nous qui n’appartenons ni aux bergers d’Israël ni aux chœurs des anges, que les mages d’Orient nous représentent dans la rencontre des confins du monde avec le Sauveur. Mais alors qu’à Noël Dieu vient vers les hommes en Jésus, à l’Épiphanie ce sont les hommes qui vont à Jésus pour tomber à ses pieds, se prosterner devant lui et lui offrir, au-delà de l’or comme à un roi, de l’encens comme à un Dieu et de la myrrhe comme à un homme mortel, l’adhésion reconnaissante de tout leur être à ce Sauveur, à ce Salut, à cette Vie.

Mais comment ceux qui sont les plus éloignés peuvent-ils aller jusqu’au Sauveur alors que les plus proches ont eu besoin que la naissance leur soit annoncée ? De fait, les mages d’Orient n’auraient pas pu se mettre en route s’ils n’avaient pas été guidés par Dieu lui-même. L’étoile qu’ils suivent pourrait être classée, dans un vocabulaire contemporain, dans la catégorie des « signaux faibles. » L’étoile brille d’autant plus que la nuit est noire. Certains se lamenteront de la noirceur effrayante des espaces infinis enténébrés mais il est donné à d’autres de se réjouir du scintillement simplement entrevu d’une étoile qui est comme le sacrement d’une présence. Oui, les mages vont à Jésus, mais de bout en bout c’est Dieu qui les mène : c’est lui qui leur fait signe par l’étoile qui les guide vers Jérusalem, c’est lui qui met à profit la hargne meurtrière d’Hérode pour leur indiquer que c’est à Bethléem qu’ils doivent ensuite diriger leurs pas, c’est lui enfin qui par un songe conduit leur retour par un autre chemin. Nul ne va à Dieu s’il n’est attiré par lui. Et l’histoire des mages ressemble à celle de notre Père Abraham : se mettre en route sans connaître le chemin, en se laissant guider, par la foi ou par l’étoile, c’est-à-dire toujours par une lumière dans la nuit. Et cette histoire des mages et d’Abraham ressemble à la nôtre, ou plutôt la nôtre ressemble à la leur. Car le sens ultime de l’Épiphanie n’est pas seulement dans le terme du voyage, où effectivement est manifesté le salut donné aux hommes et l’hommage donné à Dieu par les hommes : il est aussi dans la manifestation du voyage même. Notre vie est un voyage où Dieu nous fait signe par une bonne étoile qui apparaît parfois pour attirer notre regard, qui disparaît parfois quand nous la fixons, car les étoiles aiment jouer à cache-cache avec ceux qui les observent. Notre ciel intérieur a toujours une étoile, au moins une étoile ; à mieux regarder ce firmament on discerne des constellations, des galaxies. Savons-nous nommer nos étoiles avec émerveillement et reconnaissance ?

Comme une étoile dont le scintillement se laisse seulement entrevoir l’oraison d’ouverture nous dit beaucoup de cette solennité d’une manière quasiment inaperçue, imperceptible : voici d’abord la signification de la fête : « aujourd’hui, Seigneur, tu as révélé ton Fils unique aux nations, grâce à l’étoile qui les guidait » ; et voici maintenant la grâce que nous espérons de sa célébration : « daigne nous accorder, à nous qui te connaissons déjà par la foi, d’être conduits jusqu’à la claire vision de ta splendeur. » Notre voyage n’est pas vers la foi, mais guidés déjà par son étoile, vers la claire vision de la splendeur de Dieu. C’est le rendez-vous de notre Bethléem : c’est là que nous adorerons, que nous louerons, que nous aimerons, que nous verrons, que nous vivrons et que nous deviendrons éternellement ce que nous avons seulement commencé d’être. Alors cette Épiphanie de Dieu sera vraiment nôtre et dans notre épiphanie se dévoilera notre beauté. Et Dieu nous fera présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe en reconnaissant dans les sauvés que nous serons les traits de notre Sauveur, son Fils bien-aimé. Dans l’éternel présent il nous dira : « aujourd’hui je t’ai engendré » et nous répondrons à l’unisson des anges : « gloire à Dieu au plus haut des cieux. »