Avance au large

par 6 Fév 20222022, Homélies, Temps Ordinaire

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Il arriva un jour quelque chose. Il arriva quelque chose pour une poignée d’hommes qui n’avaient rien demandé, trop occupés qu’ils étaient par leur labeur quotidien. Si absorbés même qu’ils semblaient indifférents à ce qui était en train de se passer juste à côté : pourtant une manifestation de grande ampleur, une foule se presse autour de Jésus, avide d’entendre sa Parole. Les pêcheurs, eux, avaient autre chose à faire, ils devaient laver leurs filets.

Et c’est précisément vers eux que Jésus va. Montant dans une barque, leur outil de travail, il veut les rejoindre là où ils sont, dans leur existence quotidienne, faite de labeur, de peines et de joies. Ce fut une rencontre au fond difficile à décrire de manière précise mais bouleversante : il a suffi de quelques mots à peine de Jésus à Simon pour que tout change et que leur vie bascule, des mots somme toute banals, du langage de tous les jours pour ces pêcheurs du lac : Avance au large, et jetez les filets pour prendre du poisson. Il a suffi de ces quelques mots, Parole de Jésus, pour éveiller en eux la confiance et la foi, les remettre en mouvement, leur ouvrir les portes d’une vie nouvelle.

Il fallait y croire pour recommencer une fois encore, surtout quand on est du métier et qu’on a pêché toute la nuit sans rien prendre ! Croire en celui qui parle : mystère de la Parole qui touche et agit ; mystère de la présence de Dieu à l’œuvre dans nos vies. Justement les pêcheurs du lac ont entendu et répondu à l’appel du Christ, ils ont pris sa parole au sérieux. De cette rencontre inattendue avec Jésus va surgir une vérité que rien ne laissait prévoir. Les pêcheurs jettent leurs filets ; la pêche alors s’avère exceptionnelle.

Cela augure bien des lendemains pour ces pêcheurs de poissons appelés à devenir pêcheurs d’hommes. Car tel est bien le désir de Jésus, le sens de son appel : ceux qu’il vient de prendre au filet de sa Parole, Jésus les envoie au grand large courir l’aventure de la foi, larguer les amarres, aller à la rencontre des autres, capturer les captifs, les captiver par l’annonce de l’Évangile.

Il leur faut, après avoir été poissons, devenir pêcheurs, sans craindre de peiner et de toujours recommencer, et aussi sans hésiter de faire signe aux compagnons de l’autre barque, c’est-à-dire à nous, de venir les aider dans cette partie de pêche totalement nouvelle qui, malgré l’image paradoxale de la prise au filet, est une œuvre de libération.

Pour cela Jésus a besoin de nous, il a besoin de disciples. Ceux qu’il a saisis, qu’il a pris dans les filets de sa Parole, il leur donne maintenant une mission : arracher des profondeurs du monde à sauver une humanité submergée. C’est une nouvelle existence qui va commencer pour eux : engagés sur le frêle esquif de la Parole ils partent annoncer la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ, lutter contre les forces de mort, de haine, et de violence, bref, tirer les hommes de l’abîme des eaux où ils sont tenus captifs pour les ramener ensemble vivants et libres sur la terre ferme.

La fécondité pascale, la surabondance de la pêche sera la fécondité de ceux que Jésus envoie ainsi en mission. C’est maintenant l’heure des disciples, le moment de passer du filet des poissons au filet de la Parole : Parole qui convoque, rassemble, tellement contagieuse qu’elle va remplir jusqu’à les faire craquer tous les filets du monde.

Il y a dans cette aventure une prise de conscience étonnante de la part de ceux qui la vivent :
Pierre, à la vue de ce qui se passe, est effrayé, il tombe à terre. Effrayé par la mission qui l’attend ; effrayé comme les autres par sa propre faiblesse, son péché, qui lui font mesurer la distance qui le sépare du Christ. Et il le reconnaît et s’en confesse. Il ne pourra être apôtre qu’après être tombé à genoux aux pieds de Jésus.

Face à la sainteté de Dieu qui se manifeste à lui dans le Temple que sa traîne emplit, Isaïe lui aussi se croyait perdu. Il prend conscience de sa faute et de celle de son peuple, du fait que son comportement, ses actes, ses paroles, ne sont pas en accord avec ce qu’il voit et entend. Mais en même temps il réalise dans sa chair que le salut que Dieu lui offre lui brûle déjà les lèvres, qu’il est pécheur mais pécheur pardonné, ce qui lui donne des ailes pour remplir sa mission.

Quand on se trouve devant Dieu en vérité, on se découvre finalement fragile, pauvre, et parfois misérable avorton. Mais Dieu, par son Fils Jésus-Christ, avec lui et en lui, nous confie une grande mission et vient nous combler de sa présence pour la réaliser.

Sur ta parole je vais jeter les filets. Et l’ayant fait ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Et laissant tout, ils le suivirent. Là se trouve le secret des vraies fécondités.