Celui qui vient

par 11 Déc 20222022, Avent, Homélies

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La couleur liturgique de ce 3ème dimanche de l’Avent est un peu particulière : elle est rose. Comme si le violet que nous revêtons habituellement en ce temps d’Avent avait déteint. En vérité, ce violet commence plutôt à s’éclaircir, éclairé par la lueur d’une lumière qui va bientôt se lever dans les ténèbres de nos nuits. Nous pouvons déjà nous en réjouir, dans l’attente que retentisse la Bonne Nouvelle de la nuit de Noël : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Une lumière a resplendi ; ce sera une grande joie pour tout le peuple. Réjouissez-vous ! Gaudete ! Qu’il exulte et crie de joie, le pays aride !

Oui, sachons déjà nous réjouir de cette joie qui vient de Dieu. C’est à nous que Dieu parle par la bouche de ses anges et de ses prophètes. Isaïe exhorte le peuple à se réjouir alors qu’il est éprouvé dans sa chair, il évoque les gens qui ne voient pas clair dans la vie, ceux qui ont des difficultés à entendre et à comprendre, les boiteux, les captifs, toux ceux qui ont soif d’autre chose, espèrent une vie meilleure. Isaïe en est convaincu, même dans une vie éprouvée et aride, dans un cœur sec et endurci, la vie peut renaître et fleurir comme la rose des champs. Qu’il exulte et crie de joie, le pays aride ! Dieu ne peut accepter plus longtemps la douleur et la tristesse de ses enfants; Dieu se doit de venir, il va venir et il vient, il est le Dieu qui sauve et libère, on peut reprendre confiance.

Les mots pour le dire sont forts, étonnants, bibliques : Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, le revanche de Dieu. Il vient lui-même et va nous sauver. On n’aime pas ce langage, surtout à quelques jours de Noël on préfère le sucré, c’est pourtant bien parce qu’il nous aime que Dieu vient nous venger des agressions du mal et nous faire enfin justice. Nous venons de l’évoquer dans le psaume : le Seigneur fait justice aux opprimés, aux affamés il donne le pain, il ouvre les yeux des aveugles. D’âge en âge le Seigneur règnera. A nous de nous y préparer et de préparer sa venue… comme Jean-Baptiste, le dernier des prophètes, l’a proclamé dans les déserts arides : Préparez la venue du Seigneur, rendez droits ses sentiers, et toute chair verra le salut de Dieu.

Nous sommes dans le temps de la préparation et de l’attente. Mais la venue du Seigneur se fait attendre. Et pour Jean-Baptiste l’attente est longue. Du fond de son cachot il est envahi par le doute. Il veut savoir, être au clair : es-tu celui qui doit venir – ou plutôt, littéralement : es-tu celui qui vient – ou devons en attendre un autre ?

La question est cruciale, elle semble étonnante de la part de celui qui avait baptisé Jésus et reconnu en lui le Messie que tout le monde attendait. Nous pouvons penser que Jean-Baptiste n’aurait jamais dû s’étonner de la manière dont Jésus accomplissait sa mission. Dès les premiers jours de sa prédication il l’avait désigné comme l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, et donc comme Serviteur souffrant, mystérieux personnage semblable à l’agneau mené à l’abattoir, offrant sa vie pour sauver la multitude des gens.

Mais les mois ont passé. Jésus surprenait par son comportement : ses disciples n’étaient pas tous recommandables, il mangeait et buvait avec n’importe qui, ne revendiquait pas le titre de Messie, il ne recherchait ni splendeur ni puissance. On attend tous un peu cela, sans trop oser l’avouer : de la grandeur et une puissance qui s’impose avec autorité.
Jean a fini par s’interroger, comme le feront les chrétiens de la première génération. Ils en sont venus à se demander s’ils ne s’étaient pas trompés. Ont-ils été naïfs de croire ?
Aujourd’hui encore nous pouvons nous interroger. Le monde, le nôtre, est toujours plus déchristianisé, fragilisé, attaqué dans ses valeurs humaines fondamentales, aux principes mêmes de la vie. Même notre Eglise n’est pas épargnée, secouée de toutes parts, nous le savons que trop.

Alors, Jésus, es-tu vraiment celui qui vient ? Jésus ne répond ni par oui ni par non, il parle des œuvres du Messie : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Les gestes qu’il pose réalisent ce qu’ont annoncé les prophètes. Ils peuvent sembler bien dérisoires, ils sont comme des semences du Royaume jetées en terre, soumis aux lois des lentes germinations qui couvriront de fleurs les champs.

Il est difficile de comprendre comment Dieu s’y prend, et d’admettre qu’avec Jésus tout est affaire de libération et de liberté, de germe d’amour et de fidélité, et pour nous de foi grosse comme un grain de moutarde mais qui peut déplacer les montagnes. Allez le dire à Jean-Baptiste. Allez le dire au monde.

Avec la venue de Jésus l’histoire humaine bascule, et ses mots le disent bien : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean-Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Jean-Baptiste n’est que le porteur d’un message et le contenu de ce message le dépasse infiniment. Ce qu’il ne sait pas et que le plus petit des disciples de Jésus va découvrir, c’est le contenu du message : Une lumière s’est levée. Le Verbe se fait chair et il vient habiter parmi nous.

Qu’importe pour nous le jour précis de la venue du Sauveur. Comme l’écrit l’apôtre Jacques, il faut être patient comme le cultivateur qui sait attendre que la terre donne son fruit en son temps ; patient comme les prophètes qui ont prophétisé sans se lasser et qui n’ont même pas vu la réalisation de ce qu’ils annonçaient. Ce que nous savons, c’est que le Seigneur est proche, il est à notre porte.

Veillons, et vivons dans la joie de cette proximité, toujours prêts à ouvrir, à l’accueillir quand il viendra. Entrons plus avant dans l’Avent de notre foi, et reconnaissons le visage que Dieu a choisi de prendre en Jésus enfant, Messie, humble serviteur, miséricordieux, libérateur. Sa lumière brille déjà dans nos cœurs, il est bien celui qui est, qui était et qui vient. Il n’y a personne d’autre à attendre. Amen.