Croiser le regard de Marie

par 1 Jan 20222022, Homélies, Solennité

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– David, pourquoi tu fais cette tête ?
– C’est ce regard, je n’arrive pas à l’oublier.
– Et oui, ce n’est pas tous les jours que l’on croise le regard du Messie. Ce que nos pères Abraham, Isaac, Jacob avaient reçu comme une promesse, nous, simples bergers, nous l’avons vu de nos yeux, nous avons vu le Seigneur, tu te rends compte ?
– Oui. Mais ce n’est pas tant le regard de l’enfant qui m’a marqué, c’est celui de sa Mère. En plus de regarder son fils avec tendresse, j’ai eu l’impression qu’elle me regardait fixement, qu’elle regardait chacun d’entre nous comme ses propres enfants.
– Ah bon ?
– Oui. C’est comme si elle voulait retenir chacun de nos visages. C’est comme si elle voulait inscrire dans son cœur cet événement, pour pouvoir ensuite les méditer dans sa prière, et intercéder pour nous.
– Et pourquoi elle ferait ça ? Elle ne nous connaît pas !
– C’est bien cela qui me laisse songeur. Nous ne savons rien de cette femme, elle ne sait rien de nous, et pourtant j’ai éprouvé dans ce regard une immense proximité, comme si j’étais aussi proche d’elle que cet enfant qu’elle tenait dans ses bras. Jamais personne ne m’a regardé avec tant de tendresse, avec tant de pureté. Jamais ! Qu’elle était belle, et en même temps si pure, si fraîche, c’était si simple de la regarder.
– C’est vrai que d’habitude David quand tu regardes les jeunes filles tu es moins en paix !
– Je sais bien ! Mais là, non ! C’était si facile de se rassasier de sa beauté si gratuite. Cela me rendait joyeux. J’avais l’impression d’avoir un prix infini aux yeux de cette femme. J’avais le sentiment qu’elle voulait me donner ce qu’elle avait de plus cher au monde. Son regard était une prière : « Que le Seigneur te bénisse, qu’il te garde, qu’il te découvre sa face, qu’il te donne sa paix ». J’avais le sentiment que cette paix, cette face du Seigneur, elle voulait me la donner en me confiant l’enfant qu’elle tenait dans les bras.
– Mais tu es fou, c’est sa mère. C’est son fils.
– Mais c’est bien pour cela que je n’y comprends rien ! A la fois il y avait un grand amour pour son enfant dans ce regard, un amour de Mère, et à la fois on sentait que ce n’était pas une mère comme les autres. Son amour était plus large, plus grand, il y avait comme de la place pour se glisser dans ses bras, à côté de cet enfant, et se laisser regarder de la même manière…
– David, c’est la mère de l’enfant qui était là, pas la tienne. Et avec tout le respect que je dois à tante Déborah, elle ne ressemble pas beaucoup à cette jeune fille.
– Je sais. Je ne peux pas te l’expliquer, mais je suis sûr que la maternité de cette femme est spéciale. Elle est plus mère que ma mère, ou que la tienne ! Parce que cet enfant n’est pas n’importe qui… Souviens-toi de ce que nous a dit l’ange la nuit dernière : « aujourd’hui, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Si cette jeune fille est la mère de l’enfant, si elle est la mère du Seigneur. Elle est la mère de..
– David !
– Et quoi ! Tu as entendu l’ange comme moi, tu as vu l’enfant de tes yeux. Si c’est bien le Seigneur qui était là, dans ses bras, on peut bien le dire.
– Tu veux dire, la Mère de Dieu.
– Oui, la Mère de Dieu ! Et c’est pour cela que son amour est si large. Si le Seigneur veut vraiment faire de nous ses enfants, en nous adoptant comme des fils, alors il nous donne à nous aussi ce qu’il a donné à son fils, il nous donne une mère, et c’est par cette mère-là, que nous devenons enfants de Dieu.
– Et toi, tu as vu tout ça dans un regard ?
– Oui. Un regard, mais si si profond. C’est comme si Dieu avait choisi ce regard pour venir me parler. Il aurait pu le faire directement, comme avec l’ange hier soir, mais en passant par cette femme, c’était tellement plus beau. Alors que l’ange vient et repars, on ne sait comment, cette femme demeure. Elle est toujours là, elle est l’une de nous. Elle est comme nous, et par elle Dieu se fait homme, et par elle il fait de nous ces enfants !
– Mais David l’ange ne nous a pas parlé de cette femme, il nous a parlé que de cet enfant. Et c’est lui qu’il faut adorer, pas elle ?
– Je sais, je sais ! Mais quand nous sommes arrivés à l’étable tu as vu comme moi comment les choses se sont passées. Nous avons découvert Marie, Joseph et enfin le nouveau-né. Et j’ai ce sentiment profond, que cet ordre n’était pas un hasard. Le fait de d’abord croiser le regard de la mère nous apprend comment regarder l’enfant. Ce regard m’a appris combien j’étais aimé de Dieu, qui veut poser le sur moi le regard d’amour que l’on pose sur un enfant. Dieu nous regarde comme il regarde son Fils, tu te rends compte ! Il m’a appris cela, ce matin par le regard de celui qu’il choisit pour mère. Cette mère est le chemin que Dieu choisit pour venir vers nous, et il est le chemin qu’il nous propose de prendre pour aller à lui. Sa mère, devient notre Mère !
– David je t’aime bien. Tu as toujours été un garçon sensible, et pieux. Mais je crois que tu vas trop loin. Je veux bien que ce regard t’ai touché, qu’il soit beau, mais est-ce que tu es sur que tu ne vas pas trop loin dans ce que tu affirmes ?
– Je n’ai jamais été aussi sur de ma vie. Je l’ai vu non pas avec mes yeux mais avec mon cœur. Cette femme, dans son silence, m’a dit tout cela, et je suis sûr de l’avoir bien compris. Déjà, elle prie pour nous. Déjà, elle veille sur nous. Mère du Sauveur, elle est notre mère, et sera celle de nos enfants, de nos petits-enfants. La mère de notre peuple, la mère d’Abraham et de sa descendance, à jamais, La mère des mages qui étaient là avec nous, la mère de toutes les nations de la terre, qui reconnaîtront dans cet enfant leur Seigneur.