Trouver sa place

par 28 Août 20222022, Homélies, Temps Ordinaire

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Il y a souvent un problème de place, il faut trouver sa place, trouver de la place, être si possible à la bonne place. Dans la vie ordinaire et pratique on cherche une place pour se garer, si possible pas trop loin et pas trop cher, et, quand on se rend dans un lieu fréquenté, on espère trouver de la place, et il arrive qu’on n’hésite pas à se précipiter, à se bousculer et parfois même on essaye plus ou moins discrètement de passer devant les autres.

Nous avons besoin d’espace, d’air pour vivre et respirer. De fait il est important d’avoir de la place et plus fondamentalement de trouver sa place dans la vie, dans la société, dans sa famille ou dans sa communauté religieuse, ce qui n’est pas toujours évident.  Parce que nul n’est une île ou une monade fermée sur elle-même, nous sommes des êtres de relation et, pour que la vie personnelle et communautaire soit bonne, ou tout simplement possible, il faut que chacun trouve sa place. Si je suis bien là où je suis, alors je suis en harmonie avec moi-même et avec le monde qui m’entoure.

C’est bien ce dont Jésus nous parle aujourd’hui. Comme il le fait souvent, il veut nous faire entendre et comprendre quelque chose en nous parlant en parabole. Et il le fait dans un contexte particulier que nous précise l’évangéliste Saint Luc : Jésus prend un repas avec d’autres convives, chez un chef des pharisiens, et c’est un jour de sabbat, trois précisions significatives.

Et d’abord, il y a le repas. C’est un lieu fort, symbolique, où chacun doit avoir une place et être bien à sa place,  autour de la table commune, tandis que nous sommes réunis pour manger. Il se passe beaucoup de choses pendant un repas, nous nous révélons dans notre manière de nous tenir et de manger, et aussi dans notre manière de nous accueillir mutuellement et de nous parler. C’est un lieu essentiel où il ne s’agit pas seulement de se sustenter, mais, nous le savons par expérience, c’est là que peuvent se nourrir, se nouer ou se trahir les relations humaines, là en fait où on apprend à vivre ensemble, à partager la même table, le même plat, là où s’édifie la communauté.

Il importe donc que chacun puisse trouver sa place et s’y sentir bien parmi les commensaux, que chacun puisse se nourrir, dans l’attention et la considération mutuelles, sans se précipiter pour occuper les meilleures places ni convoiter les meilleures parts. Ainsi en va-t-il de l’art de vivre ensemble. C’est peut-être même  le début de toute éducation. Et, dans cette maison où il est entré,  Jésus a bien remarqué comment les invités choisissent les premières places, sans donc trop se préoccuper des autres.

Ensuite, et c’est le deuxième point, le repas se passe un jour de sabbat, ce jour si particulier qu’il faut laisser totalement libre, vide de toute activité, comme une page blanche dans nos emplois du temps si remplis, dans nos esprits si encombrés. Le jour du sabbat il nous est commandé de nous reposer, de faire du vide, pour laisser la place à un Autre, Dieu notre Père. Surtout respectons le sabbat, ne prenons pas toute la place, laissons à Dieu la première place. Laissons de la place aux autres, à nos frères, au prochain, à l’inconnu.

L’Évangile précise enfin, et c’est encore une question de place, que Jésus est venu chez un chef des pharisiens, un de ces vrais fidèles, croyants et pratiquants, au bel idéal religieux qu’on ne peut qu’admirer. Mais un excès de prescriptions ritualistes ajoutées les unes aux autres et de rigorisme a pu conduire les pharisiens à une trop grande satisfaction d’eux-mêmes, et à un oubli voire à un mépris des autres. Je te rends grâce, Seigneur, dit l’un d’eux, pour ce que je suis, quand même ! Pas comme ce publicain, comme ces gens-là, tous des voleurs et des pourris.

Par ses paroles, Jésus nous rappelle que nous sommes tous également invités au repas des noces, et qu’une place a été préparée pour chaque invité, mais qui reste encore à trouver, à habiter et à respecter. La place qui est vraiment la nôtre, c’est Dieu qui l’a préparée et nous la donne. En son Fils Jésus, il vient nous mettre à la bonne place, il vient nous remettre en place, nous réajuster, nous justifier. Comment être soi-même à la bonne place sans laisser le Seigneur agir en nous ? Comment être soi-même à la bonne place sans laisser à chacun la sienne pour que tous puissent eux aussi respirer, vivre, manger, pour qu’ils soient pris en considération, respectés et aimés ? Il en va en effet de notre communion fraternelle, de la charité fraternelle.

Nous sommes les membres d’un seul corps, écrit Saint Paul aux Corinthiens, tous différents, complémentaires, chacun à sa place. L’œil ne peut dire à la main : « je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut dire aux pieds : « je n’ai pas besoin de vous ». Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu. Oui, Dieu a privilégié ceux qui ne voient pas très clair, qui ont de la peine à avancer, qui ont peu de moyens pour vivre, ces pauvres, estropiés, boiteux, aveugles dont parle notre évangile.

C’est pour eux que Jésus n’a pas voulu prendre la première place, il n’a pas  retenu le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est au contraire abaissé, prenant la dernière place, celle de l’humble serviteur. Il nous demande de l’accompagner jusque là, humblement. Et là, quand nous serons à notre juste place, la dernière, avec lui, il nous prendra par la main et il nous dira : Mon ami, avance plus haut.  Ce sera un grand honneur et une immense joie. Amen.