La Cène du Seigneur
Ce soir nous célébrons la Cène du Seigneur, le dernier repas que Jésus prit avec ses disciples avant d’entrer dans sa Passion, ce repas qu’il institua pour que nous le reprenions et le célébrions régulièrement en mémoire de lui.
L’Heure est venue pour lui de passer de ce monde à son Père, l’Heure où le Fils de l’Homme va être livré, l’Heure où l’amour va se manifester, la Vérité se révéler à la face du monde. Jésus va affronter la souffrance, la violence et la haine, qui souvent se déchaînent et déchirent l’humanité, et vont maintenant s’abattre sur lui, sans merci. Et Jésus est à table avec ses disciples.
Un drame se prépare et va se dénouer. Dehors on cherche à l’arrêter par ruse pour le tuer, ici un de ses proches s’apprête à le trahir, un autre va le renier. Acclamé hier, Jésus sera demain crucifié comme un moins que rien. Jésus le sait. Ce qu’il va subir il l’accepte librement et il va l’accomplir en notre faveur. Alors qu’on cherche à lui ôter la vie, il en fait une offrande, une fois pour toutes, un sacrifice unique et qui sauve le monde. Quand tout pourrait finir là, désespérément, il vient sceller dans sa Passion et dans son sang une alliance nouvelle et éternelle, la sacrement de son amour.
C’est ce qu’il veut dire à ses disciples au cours de ce dernier repas, il veut leur faire comprendre qu’ il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Il veut leur laisser son Testament comme on offre un trésor précieux pour la vie. Au cours de ce dernier repas il pose des gestes différents selon les évangiles, simples et mystérieux : laver les pieds, donner du pain, tendre une coupe à boire, c’est tout ce qu’il faut pour se nourrir et pour marcher. Jésus sait que ses disciples sont et seront des pérégrinant.
Dans l’évangile selon saint Jean Jésus se lève de table, dépose son vêtement comme il pose et dépose sa vie aux pieds de ses disciples. Et dans un geste insolite et pour le moins surprenant, raconté lentement pour qu’il reste imprimé dans l’esprit des disciples de tous les temps, Jésus le Maître et le Seigneur se met à genoux devant eux, tel l’humble serviteur, et il commence à leur laver les pieds à tous. Il y a là Pierre sur qui il bâtit son Église et André, des pêcheurs du lac, Jacques et Jean son frère, Philippe, Barthélémy, Matthieu un collecteur d’impôts, un autre Jacques, Thaddée, Simon un zélote, et Judas l’un des douze celui-là même qui allait le livrer. Et à leurs pieds, Jésus. C’est le monde à l’envers, mais bien l’endroit de Dieu.
Car le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. Il fallait que Jésus prît la tenue de serviteur, endurât sa souffrance pour entrer dans sa gloire. Il en va de notre salut. Jésus insiste donc : il nous demande de lui faire confiance, de prendre et de reprendre en mémoire de lui ce qu’il a dit et fait pour nous : comme je vous ai lavés les pieds, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Peut-être avons-nous comme l’apôtre Pierre quelques réticences exprimées ou rentrées, toi Seigneur me laver les pieds, jamais ! mais il faut en passer par là : se laisser faire et faire de même :
Nous mettre au service les uns des autres, prendre soin de nos frères et nous laisser soigner jusqu’à faire de notre propre vie une offrande. Si nous ne comprenons pas encore l’essentiel est de commencer, d’agir comme lui-même le Christ a agi pour nous, de nous engager dans la confiance et dans la foi. Plus tard, dit Jésus à Pierre, plus tard tu comprendras.
Pour entrer dans le mystère il faut déjà entendre et pratiquer ce que Jésus exprime au cours de la dernière Cène. Ce qui est en jeu c’est avoir part avec lui, partager sa vie, la vie et l’amour que Dieu nous offre.
C’est ce que signifie aussi l’Eucharistie, dont Paul nous parle aujourd’hui dans la lettre aux Corinthiens. Jésus prend du pain, il le rompt comme son corps sera brisé, et il le donne à ses disciples en disant : ‘Prenez, mangez, ceci est mon corps livré pour vous’. Et Jésus prend une coupe et dit : ‘Prenez et buvez-en tous, ceci est la coupe de mon sang versé pour vous’. Ce n’est plus le sang d’un jeune agneau répandu sur les portes pour protéger les maisons du fléau destructeur comme dans la Pâque ancienne, mais le sang du Fils bien-aimé versé et bu pour nous sauver de l’emprise destructrice du péché. Jésus donne et se donne réellement en nourriture, il offre sa vie en sacrifice pour que le monde ait la vie, il nous invite à boire à la coupe, à partager sa destinée.
A partir de cette Heure Jésus n’a plus rien à perdre, tout est déjà donné. La mort gardera son caractère de supplice épouvantable, pourtant elle ne s’emparera de rien qui n’ait été déjà livré aux hommes. Jésus peut affronter les insultes et les coups, passer son chemin et s’avancer vers la croix.
Levons-nous, reprenons ses gestes, suivons-le sur le chemin de la Passion, heureux d’être invités au repas du Seigneur.