Ce monde passe, un autre suivra
L’autre jour, j’ai fait ce qu’il convient à un frère Dominicain nouvellement arrivé à Marseille : je suis monté à Notre-Dame de la Garde pour confier cette année à la Bonne Mère. En arrivant à la basilique, j’ai eu la même réaction que les apôtres devant le Temple. J’ai eu de l’admiration pour ce travail de construction, pour les belles pierres. J’ai admiré la foi qu’on devine en comptant tous les dons nécessaires pour construire cette basilique, puis pour la restaurer. Et aussi la foi dont témoignage tous les ex-voto. Tout cela est grand, beau, solide.
Et en sortant sur le parvis, j’ai contemplé la ville. Cette ville si grande qui témoigne de la force et de la grandeur des hommes : la tour CMA-CGM, les immenses paquebots, tous ces signes de force, de puissance, de solidité…
Mais cette ville qui semble si puissante vue de haut, je me suis souvenu qu’elle est aussi très désorganisée. J’ai pensé à la ville les jours de mistral, quand tout semble prêt à s’écrouler. J’ai pensé aussi à toutes les catastrophes dans le monde qui balayent des villes en quelques minutes et qui pourraient aussi arriver ici. J’ai pensé à toutes les manifestations dans notre pays et ailleurs qui peuvent toujours dégénérer. J’ai pensé aux guerres au loin qui nous menacent et à la guerre qui se joue aussi dans les quartiers Nord, au bout des lignes de bus.
Tout cela nous montre que derrière une apparente solidité se cache une fragilité plus fondamentale. Et tous ces ex-voto à Notre-Dame de la Garde en sont justement le témoignage, ils montrent cette fragilité de l’homme. De même, la splendeur des travaux de rénovation – que ce soit là-haut, ou bien dans notre couvent juste à côté – est justement le signe que ces pierres ne sont pas éternelles. Oui, notre monde est fragile. Notre monde n’est pas éternel. Notre monde va passer.
Mais alors, face à ce constat, que devons-nous faire ? Sommes-nous condamnés à la tragédie d’une existence allant à sa perte ? Est-ce que la meilleure réponse est de dire : « mangeons, buvons, profitons de la vie car demain nous mourrons » ?
Et bien non. NON car tout ne va pas passer. Ce monde passe, mais un autre monde le suivra. Un monde nouveau où le Seigneur règnera sans opposition. Un monde définitif qui, lui, ne passera pas. Et notre monde présent nous est donné pour nous préparer à ce monde à venir.
Ce monde transitoire dans lequel nous vivons est une école. Une école où nous apprenons à accueillir Dieu comme notre Seigneur. Une école pour apprendre l’amour de ce qui ne passe pas. Une école où nous apprenons l’amour de ce qui est éternel : l’amour de Dieu et aussi l’amour de tout ce qui est bon, l’amour de toutes les vertus et en particulier la charité.
À la fin des temps, quand le Christ reviendra dans sa Gloire, si nous avons appris à mettre notre bonheur en Dieu et en ce qui est bon, alors ce sera pour nous le bonheur parfait. Ce sera l’accomplissement de ce que nous avons cherché durant notre vie.
Au contraire, si nous nous attachons à nos compromissions avec le mal, le règne de Dieu, le règne de la Justice sera pour nous un événement terrible.
Apprendre à mettre son amour en Dieu, ça ne veut pas dire ne plus aimer le reste. Mais, cela veut dire aimer chaque chose à sa juste valeur. Aimer Dieu par-dessus tout et aimer le reste en relation avec Dieu. En fait, c’est aimer comme Dieu aime.
Et c’est cela qui est vraiment dur dans notre vie. C’est cet apprentissage qui n’est pas évident. Car il y a des résistances, à la fois autour de nous et en nous. Ces résistances autour de nous, ce sont bien sûr ces vexations et ces persécutions que nous subissons, mais aussi toutes les habitudes en vigueur dans notre milieu qui ne sont pas dans le sens de l’Évangile et qui nous poussent à mettre notre cœur dans le monde et pas en Dieu. Quand Jésus dit que nos familles feront mettre à mort certains d’entre nous, il ne vise pas seulement les périodes de persécutions, mais aussi les morts spirituelles, les habitudes mortifères que nous transmettent nos milieux. Mais les plus grandes résistances, sont en nous. C’est notre attachement à ce qui s’oppose à Dieu. Notre complicité avec le mal.
Alors, il y a un combat que nous menons. Et ce n’est pas le combat d’un jour, mais celui de chaque jour. Et c’est par notre persévérance que nous obtiendrons la vie. C’est par notre constance à aimer ce qui ne passe pas que nous nous préparons à ce monde nouveau et éternel auquel Dieu nous destine. La meilleure façon de résister, c’est de tourner notre regard vers Dieu et ce monde à venir, de le désirer et de faire grandir ce désir.