La correction fraternelle
Frères et Sœurs
Dans le livre des « Proverbes », la Bible nous donne une maxime qui retient l’attention des éducateurs et qui inspira peut-être Jésus dans son enseignement : « Mon fils ne méprise pas la correction du Seigneur et ne prends pas mal sa réprimande, car le Seigneur corrige celui qu’il aime comme un père reprend le fils qu’il aime » et, en écho à l’évangile de ce jour, on ajoute spontanément : « Comme un frère corrige ou reprend son frère qu’il aime ».
Cette maxime et cette phrase de l’évangile, nous interrogent : Peut-on concevoir une éducation, un progrès dans la vie chrétienne, sans les corrections et les réprimandes qu’appellent notre fragilité et nos limites. Concevoir une liberté qui refuse toute référence aux autres, à la loi naturelle, à la conscience et aux commandements de Dieu, reviendrait à se moquer des autres et à tromper ceux dont nous pouvons avoir la charge devant la société et devant Dieu. Une autre maxime rappelle que nous avons besoin de l’aide de nos frères : « Un frère aidé par son frère est une place forte » (Proverbes, 18, 19).
Saint Thomas d’Aquin parlant de la charité, dit que la « correction fraternelle » est l’une des formes de l’amour du prochain : c’est même un précepte, comme vient de nous le rappeler le prophète Ezéchiel : « Si tu n’avertis pas le méchant d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, (moi le Seigneur) je demanderai compte de son sang ».
D’où vient donc l’audace de corriger les autres ? N’est-ce pas risqué, dangereux, est-ce même souhaitable ? Le prophète Jérémie a dit : « Vous n’aurez plus à instruire chacun son prochain » .
Mais les paroles de Jésus sont claires : « Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre lui sa faute. S’il t’écoute tu auras gagné ton frère ».
Remarquons bien que Jésus a précisé qu’il s’agit d’un « frère », « ton frère », c’est-à-dire d’un disciple avec qui on partage la même foi et la filiation divine. Ce lien « fraternel », saint Paul vient de nous le rappeler : « Frères, ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a parfaitement accompli la Loi ».
La « correction fraternelle » c’est cet acte de bienveillance aimante par laquelle, avec audace, confiance et amitié surnaturelle, nous portons secours à quelqu’un qui s’est égaré qui a pris un mauvais chemin et se trouve blessé spirituellement. Le bon Samaritain avait soigné celui qui était tombé aux mains des brigands : un frère charitable se fera le « prochain » de son frère qui est enchainé, lié par le poids du péché et qui est entré dans un processus d’éloignement de l’Eglise et de Dieu, devenant ainsi progressivement semblable à un païen. Mais si ce frère écoute son frère il pourra revenir à la plénitude de la vie chrétienne et recevoir une totale réconciliation avec Dieu et avec ses frères.
Mais, voilà que nous hésitons devant cette « correction fraternelle », nous avons peur de froisser, de s’y prendre mal, de provoquer l’effet contraire, d’éloigner, et non de rapprocher ; ne vaut-il pas mieux patienter, faire confiance, supporter les défauts et attendre que notre frère redécouvre par lui-même la lumière qui le mettra sur la bonne route ? Nous craignons l’échec dans notre démarche car : « Si (ton frère) ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain ».
Face à la situation dangereuse du pécheur, l’Eglise a reçu de son Sauveur le sacrement qui donne la grâce de la conversion et de la pénitence, qui réconcilie le pécheur avec Dieu et avec l’Eglise et qui le libère des liens du mal qui l’isolaient et le séparaient de Dieu et de ses frères.
Une autre question se pose : Que devons-nous, ou, pouvons-nous faire, vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas notre foi ? A quel titre pourront-nous critiquer leurs actions et leurs comportements lorsqu’ils nous paraissent mauvais et dangereux pour eux et pour la société.
Rappelons-nous que l’Église est porteuse d’un message universel et qu’elle a le devoir de s’adresser aux hommes de partout et de tous les temps ; dès lors ses représentants et ses prédicateurs, ses « guetteurs » pour reprendre le mot d’Ezéchiel, ne doivent pas être des « chiens muets qui ne savent pas aboyer ».
L’Eglise annonce le message de Celui qui est, en toute vérité, la lumière du monde : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples …leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mat, 28, 19-20). Avec des personnes, des groupes et des sociétés entières qui n’ont pas la foi chrétienne, il nous faudra, pour d’être entendus et acceptés, fonder nos argumentations sur les valeurs auxquelles tout homme est normalement soumis : la raison, la loi naturelle, l’amour de la vérité, la voix de la conscience et le respect des droits de l’homme.
C’est ainsi que l’Eglise, au nom de sa responsabilité spirituelle, n’hésite pas à s’adresser aux dirigeants des Nations et aux autorités internationales, au nom de la loi naturelle et des droits de l’homme, dans le respect des consciences et d’une saine laïcité.
Notre époque a vu des papes, tels saint Jean XXIII et saint Jean Paul II, prendre la parole dans les plus hautes tribunes internationales pour dénoncer, avec un esprit de fraternité universelle, les injustices présentes dans les sociétés et appeler les hommes de bonne volonté à choisir la paix, la justice sociale et le respect de la vie. Ces dernières semaines nous avons vu comment le Pape François et les Patriarches d’Orient ont condamné énergiquement les crimes commis au Proche Orient contre des populations entières et comment ils ont appelés à stopper tous les agissements criminels.
Durant les mois de juillet et d’aout, en effet, nous avons compatis aux terribles souffrances infligées à des minorités d’Irak et de Syrie, spécialement aux chrétiens et aux yézidis et nous avons vu comment ces populations, de tous âges et de toutes conditions, ont été affreusement agressées, menacées, persécutées, parfois exécutées, vendues au marché, soumises à des expulsions brutales et à des pillages. Nous avons pu admirer comment nos frères chrétiens d’Irak ont préféré perdre leurs biens et parfois leur vie plutôt que de renier la foi chrétienne ; dépouillés et contraints à l’exil ils peuvent nous dire aujourd’hui avec fierté : « Nous avons tout perdu sauf le Christ ». Tel est bien le message de foi donné par près de 150.000 chrétiens lors de leur arrivée dans les zones hospitalières du Kurdistan irakien, tel est aussi le message que nous entendrons peut être bientôt, puisque beaucoup d’entre eux souhaitent venir dans notre pays afin d’y trouver la sécurité et la liberté religieuse.
Les chrétiens d’Irak sont parmi les plus anciennes communautés chrétiennes, ils parlent l’araméen, la langue de Jésus. Leur émigration vers l’Occident a été provoquée par de nombreuses guerres ou événements dramatiques. Ces frères chrétiens sont originaires des pays où le christianisme est né et où le « Verbe s’est fait chair » : ce sont leurs ancêtres qui nous ont évangélisé.
Le pape François, les Patriarches d’Orient et les évêques de notre pays ont dénoncé et condamné ces crimes contre l’humanité et ils attirent aujourd’hui notre attention sur ces émigrés qui vont venir chez nous et prier avec nous. Dès lors sachons ouvrir nos cœurs et nos intelligences afin de comprendre leur situation, et apprécier les trésors spirituels qu’ils apportent avec eux, des trésors plus précieux encore que ceux des Rois mages.
Face à la situation dramatique des chrétiens d’Irak, avec lesquels l’Ordre dominicain est lié depuis des siècles, notre communauté dominicaine de Marseille a décidé que tout ce qui sera offert aujourd’hui à la messe sera envoyé à « l’œuvre d’Orient », cet organisme catholique français qui assiste de multiples manières les chrétiens d’Orient, et, ces jours-ci, tout spécialement ceux d’Irak.
Nos frères d’Orient nous demandent de prier pour eux et avec eux, confiants qu’ils sont dans la parole du Seigneur.
« Si deux d’entre vous sur la terre se mettent d‘accord pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père qui est dans les Cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».
Amen