Les saints sont parmi nous
Frères et sœurs,
Les saints sont parmi nous. Mais dans cette église, pour contempler les images des saints, pour voir les statues et les vitraux qui marquent leur présence, il faut lever bien haut la tête, vous ne trouvez pas ? Une seule s’est mise à notre portée, si je puis dire, c’est sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, là-bas dans une chapelle latérale. C’est donc à elle que j’emprunte cette réflexion qu’elle fait au sujet de la sainte Vierge Marie, mais que, je pense, nous pourrions appliquer à n’importe quel saint.
« Pour qu’un sermon sur la sainte Vierge me plaise et me fasse du bien, disait-elle, il faut que je voie sa vie réelle, non pas sa vie supposée ; et je suis sûre que sa vie réelle devait être toute simple.
On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable. »
Souvent l’hagiographie, c’est-à-dire la manière d’écrire la vie des saints, nous les ont présentés comme des êtres tellement exceptionnels, donnant souvent dès l’enfance des signes précurseurs d’une destinée hors norme, que nous ne pouvons que les admirer sans chercher à les imiter. Ils semblent hors de notre portée. Mais ce n’est pas juste. Aujourd’hui, en cette fête de la Toussaint, les saints se rendent abordables et imitables.
Il ne s’agit pas de les rabaisser, mais de nous élever par le regard et par l’espérance, pour les contempler tels qu’ils sont, tels qu’ils ont été dans leur humanité, tels qu’ils ont été transformés par la grâce et l’amitié du Christ.
Les vitraux de notre église présente une belle galerie de portraits. A droite et à gauche, dans la première travée, les saints fondateurs, et saints initiateurs qui ont été créatifs dans les domaines les plus divers de la théologie, de l’art et de la mystique. Puis, dans la deuxième travée à droite les saints martyrs, et à gauche les saints pasteurs, papes et évêques, puis les saintes moniales et consacrées de l’Ordre dominicain, et les saintes protectrices particulières de l’Ordre. Je vous invite à les regarder. A contempler d’abord comment la lumière du soleil traverse le verre pour illuminer les personnages. C’est le premier enseignement que les vitraux nous manifestent en ce jour : il n’y a pas de sainteté qui ne soit un reflet de la sainteté divine. La sainteté, c’est l’œuvre de Dieu dans des cœurs et dans des vies qui se sont ouverts à sa présence.
Mais les saints ne sont pas tous identiques. Chacun garde sa personnalité, sa physionomie, et même souvent un attribut distinctif qui permet de le reconnaître. C’est le deuxième grand enseignement que nous pouvons tirer de ces vitraux : la grâce du Christ n’annihile pas la personnalité de chacun. Les saints ne sont pas dissouts dans le milieu divin. Bien au contraire. L’histoire des saints nous montrent des personnalités très variées, parfois pittoresques, des tempéraments excessifs, des saints plein d’humour, des timides et des courageux, des doux et des violents, des hommes et des femmes, parfois des enfants, qui se sont laissés transfigurés par la grâce du Christ. Les saints ne sont pas des clones, mais tous, ils ont reçu l’empreinte de l’Esprit du Christ.
Ensuite, troisième observation que je tire de ces vitraux : la teinte des verres qui composent chaque vitrail varie. Beaucoup de saints figurants sur nos vitraux, on le comprend aisément, portent l’habit blanc et noir des Dominicains. Ce contraste entre la lumière blanche de la tunique et la teinte plus sombre de la chape manifeste le combat incessant que ces frères et ces sœurs de l’Ordre ont mené pour que la lumière se fraie un chemin, d’abord dans leur vie personnelle, mais aussi dans leur ministère au cœur de l’Église et de la société de leur temps, pour que là où le péché avait abondé la grâce surabonde, pour que la vérité resplendisse face au mensonge et à l’ignorance, pour que la charité et la pardon l’emporte sur la haine et le mépris de Dieu et des créatures. Les saints ont lutté, ils ont combattu le bon combat de la foi, avec les armes spirituelles de la parole de vérité et l’esprit des béatitudes. Mais à côté des Dominicains, il y a d’autres saints, Marie notre mère avec le bleu et le rouge (un peu passé), signifiant l’union du ciel et de la terre, il y a des saints et des saintes aux couleurs chatoyantes, et aux côtés de Dominique, François d’Assise avec son habit couleur terre devenu habit de lumière : en tous, c’est le ciel qui s’est approché, c’est l’humanité qui a été transfigurée. En chacun on devine le travail secret de la grâce dans une humanité concrète et singulière, le travail de Dieu dans un cœur aux prises avec sa sensibilité, ses contradictions, ses doutes, ses peurs, ses espoirs et ses rêves. Les saints ne se sont pas laissés enfermer dans leurs limites. Le travail intérieur, le combat spirituel qu’ils ont mené, fut précisément d’ouvrir leur pauvreté, leurs larmes, leur faim et soif, leurs souffrances et les humiliations subies à la grâce transfigurante de Jésus, qui est par excellence l’homme des béatitudes.
Enfin, dernier enseignement que nous laissent les vitraux : les visages sont tous nimbés de lumière. Miroirs de l’âme, les visages reflètent l’œuvre du Christ dans la vie des amis de Dieu. Ils sont tendus vers celui qui les a fascinés et les attirent à lui dans sa lumière. Ils sont lumineux parce qu’ils contemplent sans cesse la face lumineuse de Dieu. Ils sont transfigurés et rayonnent la bonté du Créateur, et leur exemple et leur intercession nous encouragent encore aujourd’hui.
Comment pourrions-nous monter jusqu’à eux ? Comment pourrions-nous à notre tour devenir des êtres de lumière, transfigurés par la lumière divine, éblouis par le regard de Jésus ? Regardez : c’est Jésus qui est descendu. Non seulement il est descendu jusqu’à nous, mais il a abaissé son regard jusqu’à terre, pour que nous qui sommes cendre et poussière nous puissions devenir lumière dans le Seigneur. Il a étendu les mains sur la croix pour nous prendre et nous conduire vers les hauteurs. Il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes. En son humanité, la divinité s’est cachée, mais s’est laissée devinée, elle s’est faite lumière, douceur et rédemption. En Jésus de Nazareth, c’est tout l’amour du Père qui a été déposé « en toi je mets tout mon amour ». Cet homme, le Père l’a aimé comme lui-même, afin que cet amour divin et infini nous rejoigne et nous transforme. Depuis notre baptême, ce même amour divin a été déposé dans nos âmes, et sa grâce fait son œuvre de transformation au cœur de notre cœur. Pour nous il ne s’agit pas tant de se changer, de devenir autre chose que ce que nous sommes. Il s’agit avant tout d’accueillir sa grâce qui nous guérit, nous sauve et nous illumine. Le principal obstacle, c’est notre péché et notre amour-propre. Pas de sanctification sans renoncement à soi, à son mauvais fond, pas de sainteté sans abandon de ses idées fixes, pour adhérer à Dieu avec tout l’amour de notre cœur, dans la connaissance et l’union des volontés. L’amour propre, c’est l’écran entre nous et Dieu, pire, c’est l’obstacle entre ce que nous sommes actuellement dans notre médiocrité et ce que nous sommes appelés à devenir par vocation. L’amour propre est comme un plastique opaque que nous aurions mis de l’autre côté du vitrail, à l’extérieur pour l’obturer, et qui maintiendrait le vitrail dans l’obscurité. Notre être profond et nos potentialités ne se déploient que dans la lumière divine. La sainteté, c’est notre humanité arrivée à son accomplissement, à son déploiement, à son rayonnement de lumière et de gloire. Dans l’attente de recevoir dans l’au-delà la lumière de gloire qui nous rendra bienheureux, accueillons dans l’aujourd’hui la grâce sanctifiante du Christ pour être heureux. « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! disait le saint Pape Jean-Paul II. Ouvrons nos cœurs et tournons-les vers le Seigneur, pour rejoindre un jour nos saints dans la joie et la lumière.
Le Seigneur soit avec vous ! R/ Et avec votre esprit.
Élevons notre cœur ! R/ Nous le tournons vers le Seigneur.
Ainsi soit-il.