Soigner les transitions
« Les transitions, c’est important ! » Tout auteur, orateur, pédagogue connaît cette recommandation et son utilité. Car il faut donner à comprendre pourquoi et comment telle idée ou affirmation est liée à telle autre, dans l’esprit de son auteur comme dans la réalité, et comment progresse la connaissance juste de cette dernière. Alors que vient de s’achever une année liturgique et que commence une autre, et que le changement s’accompagne d’un grand déballage et déploiement où menace la routine et où pointe la lassitude, au risque d’une perte de sens (penser au sapin, sortir les décorations, préparer la crèche, commencer les cadeaux, toujours les mêmes illuminations, aucune originalité dans les modes, encore et toujours la dinde et la bûche, et déjà les gâteaux des Rois !), il importe donc de bien marquer le lien entre la royauté universelle du Christ Vainqueur et Glorieux, le Jugement final Sa prérogative souveraine pour Son Père, et Sa venue si humble et discrète dans la chair et l’histoire des hommes. De confirmer ainsi le rapport essentiel entre le premier avènement du Christ, que célèbre Noël et que veut rappeler ce temps de l’Avent où nous entrons, et Son ultime avènement où, par la porte et le chemin de l’Incarnation, de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Fils unique Verbe de Dieu et Sauveur, et au souffle de Son Esprit, sera consommé le dessein éternel d’amour et de vie du Père. Et il importe de redire aussi que la répétition liturgique cyclique, qui semble perdue dans la grande ronde des actions et des objets d’un calendrier profane, est le mouvement d’un temps linéaire : aucun Avent, aucun Noël, aucun jour même de notre vie de chrétien et de fidèle ne peut ni ne doit ressembler au précédent, à cause de ces deux avènements du Christ, et parce qu’il y en a un troisième : celui du Seigneur dans notre cœur et notre vie. En entrant dans l’histoire humaine par Sa Parole révélée et Ses œuvres au point de Se faire homme parmi les hommes et de Se donner en partage en partageant avec eux, et en attirant l’univers à Lui pour le remettre, le moment venu, à Son Père, Dieu dispose toutes choses afin qu’ait lieu Son troisième avènement, déterminant et qui, dans Sa confiance toujours étonnante envers l’homme, ne dépend pas de Lui seul : Son avènement et Sa demeure en nos âmes. Il y a donc une autre transition à ne pas manquer : celle entre l’avant et l’après de Sa venue dans le monde et dans nos vies, pour qu’elles entrent effectivement dans le mouvement et le sens du Christ tout comme Se déploie effectivement le dessein de Dieu.
Voilà ce dont nous parlent les textes de ce premier Dimanche de l’Avent, comme un point de situation et un briefing de départ avant une traversée. Tout d’abord, Isaïe nous le redit : c’est un Sauveur qui vient, le Messie attendu, l’accomplissement et la réalisation de la Révélation et de l’Alliance, et le monde change avec Lui. De même notre péricope d’Evangile où Jésus fait opportunément référence à Noé : à la fois pour nous confirmer que tout ce qui semble aller son cours paisible et légitime ici-bas est transformé par la venue du Seigneur à chacun de Ses avènements, et aussi que c’est la rémission des péchés et un renouvellement qui est opéré, au cœur d’une alliance nouvelle, pour une création et des cœurs restaurés et appelés à une nouvelle vie. Ensuite, la même page d’Evangile est claire. C’est la toute-puissance de Dieu qui est à l’œuvre irrésistiblement dans ce dessein de salut : à une date, celle de notre départ et que nous ignorons, à une date de l’histoire de l’univers que le Père seul connaît, le Seigneur venant, et alors qu’une vue humaine ne sait pas distinguer réellement entre deux hommes au champ ou deux femmes au moulin, l’un sera accueilli, l’autre délaissé, selon qu’il aura lui-même accueilli ou délaissé tout ce que Dieu a établi pour que Sa toute-puissance de salut, en toute sagesse et miséricorde, puisse se déployer en nous et dans le monde pour que nous vivions de Sa vie : Sa grâce et les multiples voies par lesquelles Il nous la communique, Sa Parole, Son Eglise, Lui-même demeurant en tout avec nous jusqu’à la fin.
Enfin, alors que ce salut et cet avènement nous dépassent et s’opèrent par bonté, ce qui est attendu de nous est tout aussi clair. Rappelé huit fois, comme un refrain, dans l’Evangile de Matthieu et celui de Marc à propos de la fin des temps, ponctué dans les Actes des Apôtres, les épîtres de Paul et de Pierre, et jusqu’à l’Apocalypse de Jean, en vue du dernier avènement et comme ligne de conduite dès maintenant : veiller. Veiller, c’est-à-dire suivre la recommandation de l’Apôtre : tirer notre cœur du sommeil de l’inconscience ou de l’insouciance par rapport au sens de notre vie, laisser le narcotique mortifère du péché, se préparer aux combats d’ici-bas pour la récompense à venir en revêtant le Christ. Veiller, c’est-à-dire scruter le Seigneur, Sa Parole, Sa présence, les rechercher, en avoir le soin, pour préserver et faire grandir notre amitié avec Lui. Veiller, c’est-à-dire garder la lampe allumée, pour Sa venue, mais aussi pour le retour du frère perdu dans les ténèbres. Veiller, c’est-à-dire travailler à garder ce monde et Ses enfants prêts pour leur propre rencontre avec Lui, en annonçant la visite, l’aurore qui se lève. Veiller, se tenir disponible en un mot, non de manière statique, mais par notre contemplation du mystère de Dieu, notre prière, chacun de nos actes bons, parce que nous ne sommes pas maîtres de la venue du Seigneur, pas plus que de notre vie ici et au-delà, mais préposés à ce que tout soit prêt pour L’accueillir, pour qu’Il fasse Sa demeure et tienne le festin des noces de Sa joie et de Son amitié.
Une exigeante vigilance, et nous voilà avertis ! L’heure de Sa venue, c’est celle à laquelle nous n’y penserons pas, l’heure dont trop nombreux sont en ce monde ceux qui en ont même oublié la perspective. Une heure qui n’a rien à voir avec un chronographe, mais tout à voir avec notre désir de Dieu, cet élan seul qui peut, avec Son secours, nous garder constants dans notre inconstance. Des devoirs d’Avent nous attendent donc : exercices spirituels de veille active pour soigner les transitions, pour que Son Règne advienne pleinement, pour qu’Il ne trouve plus seulement un recoin abandonné pour venir et S’établir alors que la salle commune de notre cœur n’aura plus de place, mais que notre crèche intérieure, si modeste et pauvre soit-elle, soit le palais du Roi et resplendisse de Son salut.