Au milieu de la nuit, un cri se fait entendre
« Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre ! » Celui d’un nouveau-né, inouï jusque-là. Et cette surprise éveilla jusqu’aux Cieux. Et l’Ange du Seigneur vint l’annoncer à des bergers : « Le Verbe s’est fait chair, il demeure parmi nous » ! « Au milieu de la nuit », vous imaginez leur incompréhension ! Pourtant, l’attente avait pris fin, au milieu d’une époque tendue, violente, armée ! Dans ce cri d’un nouveau-né, Dieu était là, lui-même. Il portait en ce monde la paix de son Royaume. Emmailloté, il masquait sur son épaule le signe du pouvoir, cette marque d’un bois qu’un jour il porterait dans la capitale du roi David, pour nous donner sa grâce, sa vie. Les bergers avaient-ils raison de s’étonner ?
Pour leur part, Marie, Joseph ne se posaient déjà plus la question. Depuis Nazareth, ils savaient vivre dans le Mystère du Seigneur et de sa Providence, et allaient nous l’enseigner.
Mais pour cette nuit, les questions et les doutes pouvaient assaillir les bergers. Après l’exultation des armées célestes, leur nuit ne pouvait plus être banale. Si nos crèches accueillent désormais des bergers-adorateurs, il fallait être Dieu pour les transfigurer ainsi, pour qu’ils éclairent à la lumière de torches les solutions que Dieu nous révèlerait. Rencontrer l’Enfant-Dieu n’est pas affaire de kilomètres…
Aussi ce soir, regardons-les. Nous leur ressemblons en pesanteur et en misères ; en quête d’espérance aussi. Demandons au Seigneur de devenir comme ils devinrent, en une nuit de grâce ; quand leur surprise devint de l’émerveillement, leur fatigue de la joie et leur curiosité de l’adoration. Osons demander qu’il nous donne de l’enthousiasme ; que Noël voie renaître la joie. Retrouvons les bergers, à la crèche, répondant diversement à l’appel divin pour adorer l’Enfant-Dieu…
1/ Vint d’abord le désabusé, surpris par cet appel. « Mais, pourquoi moi ? » avait-il lancé aux anges ? Devenu soudain curieux, il se pensait jusque-là au ban de la société, les bergers ne pouvant suivre toutes les prescriptions de la Loi ; il en avait assez. « Vous parlez d’une vie ! » était tout son Credo. Il pensait que Dieu lui avait imposé l’impossible. Il se sentait trahi. Il s’était à tort résigné. Cependant, secoué par un chant d’anges, venu réveiller le meilleur de lui-même, il avait accepté de porter à nouveau ses pas vers le Sauveur ! Las, il regardait le sol ; mais parfois, relevait les yeux et soupirait. Espérait-il ?
2/ A côté de lui se tenait le médiocre, ou plutôt des médiocres. Ils gardaient le souvenir du Roi David, jadis berger à Bethléem, comme eux, devenu l’exceptionnel berger du Peuple du Dieu dans la Jérusalem voisine. A ce souvenir, ces médiocres devenaient fiers : évidemment, « c’était mieux avant ! » ; puis ils se comparaient à David, et patatras, tout s’effondrait. Oscillant de cœur, d’intensité variable dans leur foi, ils étaient les plus nombreux. Ni mauvais, ni parfaits, simplement maladroits, ils ne savaient où porter leurs regards. Avec Dieu aussi, ils restaient comme celui qui « peut mieux faire ». Mais l’Ange les avait remués : ils attendaient à nouveau, mais quoi ? qui ? pour quoi ?
3/ Plus discret, venait d’entrer celui qui recherchait un souffle : l’homme de l’habitude ; imitateur, copieur, mais girouette parfois, il avait oublié l’essentiel des prophéties et vivait souvent loin de son espérance. Il faisait surtout comme les autres, ne sachant plus depuis longtemps, ce qu’il avait à faire, lui. La Loi de Dieu ou le Catéchisme, il ne savait plus trop ce qu’il fallait en penser, ni comment en vivre et qu’en retenir ? Si en cette nuit, les médiocres et le désabusé n’étaient pas venus, il n’aurait pas su les imiter et venir à son tour. Il présumait cependant qu’il avait bien fait ; qu’avait-il à perdre ? Devenir meilleur, grâce à Dieu, n’était-ce pas un beau pari ? Il était prêt à suivre !
4/ Il découvrait aussi peu à peu que l’avait précédé l’homme de devoir, le berger occupé, en avance pour tout, trop occupé en tout et un peu méprisant sur tout. Il avait en lui quelque chose du pharisien qu’il ne pourrait jamais devenir. Mais il comptait inconsciemment sur ses propres talents, en les disant divins. L’Ange l’avait surpris lui aussi. Consciencieux, il attendait beaucoup de cette nuit, pour lui, et autour de lui, pour la vie sociale. Qui sait ? Si Dieu pouvait faire irruption jusqu’à son cœur, et celui des gens pour faire ce qu’il fallait, et souvent un peu plus, un peu mieux ?
5/ Manquait encore quelqu’un ! Mais « au milieu de la nuit, un cri se fit entendre ! » L’enthousiaste arrivait. Enthousiaste, c’est-à-dire, rempli de Dieu. « Les temps sont accomplis », clamait-il. Il avait fait un vaste tour, rassemblant aussi les habitants de Bethléem. Il était fidèle et juste envers le Très-Haut, mais il recherchait toujours un supplément d’âme. Et voici que devant lui, demeurait enfin son Seigneur, le Maître de tout, l’espérance emmaillotée. De voir l’enthousiaste ému et jubilant, les autres bergers s’interrogeaient. Ils commençaient à l’envier. Ils suivaient son regard. Lui regardait devant. Heureux, il devinait dans l’attitude des saints Joseph et Marie, une famille de cœur qu’il venait rejoindre. A les voir, il percevait comment vivre du Mystère de Dieu et de sa providence. Son regard intense illuminait son visage. Cet enthousiasme devenait communicatif, un cadeau venu du ciel.
Il avait suffi d’une personne, un moment. Un berger transmettant sa flamme après l’avoir relancée au contact du Sauveur. Et voilà qu’une mission se dessinait : vivre la charité de l’enthousiasme, la seule apte à bouleverser le désabusé, le surpris, le médiocre, l’homme de l’habitude ou celui du devoir, et combien d’autres qui désormais l’enviaient, lui, le berger, le contemplatif enthousiaste, gagné par l’inouï de la naissance de Jésus ! En Noël, il voyait comme un pont, pour ramener vers le Seigneur, les hommes créés « à son image » et s’en croyant trop loin ! Amorcer ce retour serait parfois long ou difficile ; face à l’emprise du Mauvais, il y aurait un combat radical, combien de croix… Mais l’enthousiaste comme ressaisi par Dieu, exprimait cette charité divine mise à portée de tous et transformant nos vies, éclairant désormais nos choix, et rendant possible de les poursuivre avec grâce pour la vie de tous.
« Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre ». Ecoutons-le ! Avec nous, il réveille le monde.