Que nos yeux regardent le Seigneur de gloire

par 8 Mar 20202020, Carême, Homélies

Homélie donnée à Rome pour une communauté de prêtres
 
Il était une fois un royaume un peu particulier. En effet, personne ne voyait : tout le monde était habitué et trouvait cela normal. Arriva un jour un voyageur venu de loin. Il était étrange, il disait qu’il voyait. Les médecins l’examinèrent et, devant le trouble, décidèrent de l’envoyer en prison. Avec son geôlier, il parlait des heures de ses voyages, des paysages, des couleurs. Le garde était fasciné. Plusieurs mois passèrent. Finalement, le garde décida de lui poser la question : comment fais-tu pour voir ? Et le voyageur de répondre : ouvre les yeux.
 
Aujourd’hui, le Seigneur ouvre les yeux. Non pour un aveugle, mais pour montrer qui Il est véritablement : le Fils bien aimé du Père, en qui vit la gloire divine. Il n’est pas seulement le fils du charpentier, l’enfant de Nazareth : il est le Dieu vivant, la Sagesse du Père, le Rédempteur du monde. Sa divinité se cache derrière l’humanité, mais aujourd’hui la divinité resplendit sur l’humanité. La semaine dernière, son humanité a connu la faiblesse du corps et les tentations et a vaincu le démon. Dans quelques semaines, son corps sera livré aux mains des romains. Il a vaincu nos tentations par ses tentations, il va vaincre notre mort par sa mort.
 
Mais il y a un problème : nous nous endormons. Notre vocation au Ciel, à la sainteté s’endorme, notre vie théologale et notre charité s’affaiblissent, notre sens du péché disparaît peu à peu. Comme Pierre, Jacques et Jean : ils connaissent l’enseignement du Christ, ses miracles, ils ont vécu à ses côtés durant trois années. Mais lorsque le Seigneur les emmènera sur une autre montagne, au mont des Oliviers, lorsqu’il pleurera, entrera en agonie pour notre salut, ces trois disciples dormiront, l’abandonneront, le renieront. Ils étaient préparés, ils avaient vu le Christ en gloire, ils ont succombé. Cet évangile est un vrai enseignement : ne pas abuser de la grâce, ne pas être infidèles aux petites choses, se rappeler de nos grâces pour aller de l’avant.
 
Il y a un problème mais il y a une solution. Le carême est un temps de réveil, de vie pour notre âme. Cette vie, c’est le Christ. Ce réveil, c’est notre vocation. Le Christ : en qui se rendent visible la vie et l’immortalité écrit Saint Paul. Vie, unique source de vie pour tout homme, de l’Ancien Testament comme du Nouveau. Vie qui accomplit la Loi donnée à Moïse et les prophéties proclamées par Elie. Si Jésus parle avec eux de sa passion, c’est pour deux raisons : une raison de vie, une raison de résurrection. Une raison de vie : Moïse, l’homme juste, contemple dans le Christ l’accomplissement parfait de la Loi, c’est-à-dire de la charité il va offrir sa vie en sacrifice pour tous, pour chacun des hommes. Elie voit l’accomplissement parfait des prophéties, ce serviteur qui n’aura plus visage d’homme, l’agneau conduit à l’abattoir, cet agneau immolé à qui reviennent gloire et puissance dans l’Apocalypse. Une raison de résurrection : suivant une traduction littérale du Deutéronome, Dieu lui-même enterre Moïse au pays de Moab et c’est pourquoi nul ne sait où est son tombeau. De même, nul n’a vue Elie mort puisqu’il a été emporté par un char de feu. Ils nous indiquent que la mort n’a pas le dernier mot, qu’à la mort, c’est Dieu qui est là et qui a le dernier mot. Ce mot, c’est Jésus : Dieu sauve, Dieu qui donne la vie. Sans le Christ, pas de vie véritable. Si nous voulons vraiment vivre, il nous faut être véritablement des autres Christ pour nos frères.
 
Cette vie, c’est le Christ, ce réveil, c’est notre vocation. Une vocation, c’est être personnellement mis à l’écart. Au Carême, tout se passe à l’écart : au désert, au mont Tabor, au puits avec la Samaritaine, à la piscine de Siloé, au tombeau de Lazare. Comme Abram, pour changer, pour devenir origine de bénédiction pour soi et pour les autres, mettons-nous à l’écart : nous le faisons chaque vendredi par l’adoration mais décidons chaque matin d’un temps gratuit, particulier pour Dieu. Ensuite, aujourd’hui et cette semaine, il faut, comme Pierre, Jacques et Jean, monter au Tabor c’est-à-dire contempler le Christ : il est Dieu, il est vie. Il nous faut enfin descendre. Mais, dans notre travail, dans nos actions, garder cette image que l’évangile nous donne aujourd’hui : il est Dieu, tu peux vaincre toute tentation, tu peux faire mieux aujourd’hui qu’hier, avoir l’espérance de faire mieux demain qu’aujourd’hui. Il est Vie, présent à tes côtés, sans cesse agissant en toi.
 
Le carême avec le jeûne et l’aumône n’est pas fini : nous avons toujours la croix des cendres sur nos têtes. Mais si nous n’avons pas le Christ en nos cœurs, cela ne sert à rien.
Ne nous endormons pas. Ouvrons notre cœur, notre temps, nos mains, le Seigneur nous ouvrira les yeux et nous verrons déjà, par la foi, sa gloire. Nous n’aurons pas peur de descendre de la montagne pour combattre le combat de Dieu, combattre le combat de la charité dans nos vies. Et nous deviendrons, nous aussi, les fils bien-aimés du Père Amen.