Chronique du couvent – Mai 2020
Un frère venu d’un pays lointain
Le frère Pavel Syssoev, notre nouveau prieur, n’est pas lituanien bien qu’il soit né à Vilnius : il est originaire de Samara, en Russie. Sa langue maternelle est donc le russe mais sa langue universitaire fut le français puisqu’il étudia la philosophie à Paris, et qui devint aussi devenue sa langue fraternelle avec son entrée dans l’Ordre. Au couvent de Bordeaux où il était jusqu’à son élection par les frères de Marseille, il enseignait la philosophie et il était très actif dans un diocèse dirigé par le cardinal Ricard, un illustre marseillais. En cette période où les déplacements ne sont pas faciles, le frère François-Régis Delcourt, par un vrai tour de force, a pu réaliser son déménagement dans la journée du 15 avril. La ville de Marseille est bien connue du frère Pavel, de même que son couvent puisqu’il y fit son noviciat, mais c’était l’époque des grands travaux de restauration et le couvent était moins beau que maintenant. Le « confinement » fait qu’actuellement les frères sont toujours présents au couvent : or un Prieur n’aime t-il pas plutôt voir ses frères aller et venir dans les activités apostoliques ? Quelqu’un a trouvé qu’en ce moment, notre communauté faisait penser à un couvent de Carmes ou même, à un monastère cistercien… Mais le frère Pavel ne s’y trompe pas.
« Rameaux bénis / Servez vous »,
Telle est l’invitation placée sur le portail en fer du couvent, car le dimanche des Rameaux la communauté n’avait pas oublié les absents. Il suffit donc de tendre la main à travers la grille et de prendre les rameaux qui se trouvent dans une caisse accrochée juste derrière. Bien des remerciements nous parviennent pour ce geste de communion qui a permis à bien des fidèles et des voisins, y compris au Maire de notre arrondissement, d’avoir les Rameaux « 2020 ».
Dans le port de Toulon
Peu avant les fêtes pascales le frère Marie-Olivier Guillou a rejoint la base marine de Toulon où il est aumônier, pour être avec les marins et célébrer avec eux selon le rite confiné. C’est alors qu’est arrivé à Toulon, en pleine crise sanitaire, le porte-avions « Charles de Gaulle ». Notre frère était sur place et il nous a écrit : « J’essaie de remonter le moral des troupes et je célèbre les sacrements (confessions et messes) avec des mesures sanitaires strictes : ce qui me vaut de célébrer la messe pour l’instant deux fois par jour, et de confesser régulièrement. Je confie tous ces marins et leur famille à votre prière ».
« Le feu sous la braise »
Certes le couvent vit à un rythme inhabituel ; des frères ont joué au taraud ou à la pétanque, c’est inhabituel ; le Jeudi-Saint, grâce au frère Luc-Thomas Somme, ils ont pu suivre sur le grand écran de la salle Cormier, la Passion selon saint Jean, de J.-S. Bach. En cette période les frères ont beaucoup pratiqué le télé-apostolat, le téléphone amical, les échanges de nouvelles, le télétravail avec l’Officialité et par Skype, faire diverses interventions pour les Droits de l’Homme, à Genève. Le Groupe Mission s’est retrouvé régulièrement le mardi soir pour continuer son cycle de conférences, mais en direct cette fois-ci, par Facebook ; les frères Louis et Ambroise ont mis en place une sonatine de Schubert écrite pour violon et piano. Les frères préparent maintenant la « Reprise » : le pèlerinage du Rosaire, avec ses incertitudes et les programmes du Centre Cormier. A l’école Lacordaire les Primaires vont rentrer lundi 11 mai : de chaque élève la température sera prise à l’entrée ; les enseignements ne se feront qu’en demi-classe. Les trois frères aumôniers feront acte de présence pour accompagner spirituellement les enfants autant qu’ils pourront en ce retour de confinement qui fut pour certains éprouvant. Dès la mi-mai, un immense chantier humain et pastoral va s’imposer à nous tous. Au couvent, avec nos réflexions, nos liturgies et nos échanges fraternels témoignent que sous la braise il a le feu.
Le frère Julien Wato à Saint Maximin
Pour le Triduum pascal nos sœurs de Saint-Maximin comptaient sur le frère Dominique-Marie Cabaret, venu en France pour un congrès sur l’École Biblique, mais il fut retenu à Paris. C’est le frère Julien Wato qui sauva la situation et célébra les Offices au monastère, puis il resta quelques jours encore au monastère à travailler sa thèse. A son retour à Marseille, le frère Julien nous a dit sa joie d’avoir vécu de belles journées au monastère, puis il nous « révéla » qu’il avait réalisé que dans son immense pays, le Congo-Kinshasa où les frères dominicains sont nombreux ainsi que les religieux et religieuses apostoliques, il n’y avait aucun monastère de contemplatives.
Commémoration de « 1720 »
Le jour de la fête des Rameaux et depuis cet admirable belvédère qu’est la terrasse de Notre-Dame de la Garde, Mgr Jean-Marc Aveline, notre archevêque, a béni Marseille et tous les Marseillais qui, à défaut d’avoir des rameaux en mains, se tournaient aussi ce jour-là vers le Sacré-Cœur de Jésus auquel leur ville fut consacrée, le 1er novembre 1720, en action de grâces pour la fin de la peste qui l’avait ravagée.
On trouve dans les archives du couvent dominicain d’Istanbul, une lettre du Père provincial de Provence, Jean Sicard, adressée en 1733, aux frères dominicains de Constantinople : « Que la fameuse cité de Marseille ait perdu bon nombre de ses citoyens à cause d’une peste catastrophique, la rumeur qui s’est diffusée l’a déjà appris à tout le monde…Il est parvenu à notre connaissance que chez vous aussi, à Constantinople, a sévi un pareil fléau ». Sur son conseil le Sacré-Cœur y fut invoqué sur les bords de la Corne d’or, et des grâces nombreuses furent accordées aux fidèles.
Enfin libre !
C’est le titre du livre d’Asia Bibi, cette chrétienne pakistanaise qui, faussement accusé de « blasphème » contre l’islam, a pu quitter le Pakistan après 9 mois de calvaire. Durant le carême, nous avons écouté au réfectoire le récit de son bouleversant témoignage, au moment où l’évangile de saint Jean nous faisait revivre dans la liturgie les calomnies portées contre Jésus pour « blasphème » contre la Loi et le Temple.
8 mai : Algeriensis
C’est de Marseille qu’en juillet 1967 le frère Pierre Claverie s’envola pour Alger, partant avec le frère Jean-Marie Mérigoux pour y commencer avec lui l’étude de la langue arabe. Au début de l’été 1996 le frère Pierre était à Marseille pour présenter son livre « Lettres et messages d’Algérie » ; au couvent il rencontra longuement les frères : le frère Henri-Dominique de Spéville, n’a pas oublié cette rencontre fraternelle. Pierre devait se rendre ensuite au monastère de Prouilhe où l’attendait la Saint-Do, le groupe des anciens scouts du couvent d’Alger. Une partie de l’homélie que prononça alors l’évêque d’Oran chez nos Sœurs de Prouilhe a été intégré dans l’Office des Lectures de la fête du Bienheureux Pierre Claverie, évêque et ses compagnons martyrs, religieux et martyrs. Le frère Jean-Marie aime redire la chance qu’il a eu de vivre avec le frère Pierre cette première année d’inculturation : « Nous avons commencé notre étude à l’école des Sœurs libanaises des Saints-Cœurs et de l’abbé Henri Teissier, devenu par la suite archevêque d’Alger. L’ardeur du frère Pierre me rendait plus aisée l’étude de l’arabe. Un jour, à l’occasion des vacances de printemps, nous sommes allés découvrir la ville d’Oran et sa région et nous montâmes sur la colline de Santa-Cruz qui domine la ville. L’avenir était imprévisible… Voila en effet que le frère Pierre est devenu un jour évêque d’Oran et qu’il fut béatifié, le 8 décembre 2018, dans ce même sanctuaire de Santa-Cruz que monsieur Xavier David n’avait pas encore restauré ». Les sœurs dominicaines avaient fait pour le frère Pierre deux belles étoles sur lesquelles elles avaient brodé, en lettres rouges : ‘Allah Mahabba, (Dieu est Amour). L’une de ces deux étoles fut mise dans son cercueil et l’autre se trouvait chez un frère du couvent de Marseille qui s’empressa de la faire porter à Mgr Jean-Paul Vesco, le successeur du bienheureux Pierre.