Une liturgie pour espérer
les montagnes seraient ébranlées devant ta face ! »
C’est le cri du prophète Isaïe, c’est le cri d’angoisse et d’espérance qui rejoint l’attente la plus profonde de chaque être humain ! Si Dieu descendait, si Dieu, enfin, venait parmi nous, tout serait changé, tout serait possible, tout serait heureux.
Et le prophète continue : « Voici que tu es descendu :
les montagnes furent ébranlées devant ta face. »
« Tu es descendu ! » Oui, Dieu est descendu parmi nous. C’est le grand mystère de notre foi. Et pourtant si peu de choses ont changé. Ce monde semble aller à vau-l’eau. Les événements de ces derniers temps nous ont bousculés. Notre bonheur s’est révélé fragile et éphémère. Et nous savons que des temps plus durs encore sont à attendre. Quand nous regardons notre propre existence chrétienne, notre propre itinéraire de foi, nous constatons que nous avons tourné en rond, nous n’avons pas progressé comme il fallait, nous avons fait du sur-place, voire peut-être même régressé. Nous avions pris de belles résolutions, nous voulions être saints comme le Seigneur, et notre cœur s’est révélé tout étriqué, tout corrompu par des pensées mauvaises et contradictoires.
Isaïe le prophète a fait le même constat : Tu es descendu et pourtant
« tous, nous étions desséchés comme des feuilles mortes,
et nos fautes, comme le vent, nous emportaient. »
C’est pourquoi, en commençant cet Avent, en entamant à nouveaux frais une nouvelle année liturgique, nous voulons lever le regard vers l’horizon. Par-delà la fête de la Nativité du Sauveur qui approche, nos regards se portent déjà vers le temps de sa venue ultime. Il viendra comme un voleur. Il viendra à la fin des temps, il viendra au terme de notre vie terrestre sans tarder. Aurons-nous veillé ? Aurons-nous gardé le cap, aurons-nous maintenu l’azimut. De même que les navigateurs doivent faire le point régulièrement pour vérifier s’ils sont sur le bon itinéraire et, le cas échéant, corriger la trajectoire s’ils se sont quelque peu écartés, de même il nous faut, en ce début d’Avent, en cette heureuse reprise de la célébration publique des messes dominicales, orienter notre cœur vers celui qui vient. En gardant le cap ! C’est ce qui nous a sans doute manqué. Nous n’avions pas de perspective. La vertu du dynamisme de la vie spirituelle, c’est l’espérance. La petite fille espérance, comme disait Péguy, qui pourtant entraine ses deux grandes sœurs, la foi et la charité. La foi et la charité vivent au présent. L’espérance regarde l’avenir. L’espérance indique l’azimut. L’Écriture nous dit qu’elle est une ancre jetée par-delà la fragilité de notre condition charnelle et fixée dans le Ciel, ancre à laquelle il nous faut nous agripper. L’espérance est en Dieu et nous attire à Dieu, elle donne le sens et la direction. Tout ce qui dans notre vie nous ferait dévier à droite ou à gauche du chemin de vie, risque de nous faire perdre l’azimut. L’ancre de l’espérance nous oriente. Il ne s’agit pas du fil à plomb qui nous donne la verticale de manière un peu rigide. L’espérance est une vertu, une force intérieure, une attraction joyeuse, un aimant qui nous fait désirer et déjà savourer quelque chose de ce que nous attendons en plénitude. En nous attirant, l’espérance nous façonne et nous transforme. Les contours de notre cœurs sont remodelés, nos goûts changent, parce que, grâce à elle, nous aimons mieux, nous aimons vraiment ce qui mérite d’être aimé et désiré.
C’est pourquoi le prophète Isaïe continue par ces paroles :
« Maintenant, Seigneur, c’est toi notre père.
Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes :
nous sommes tous l’ouvrage de tes mains. »
Alors soyons attentifs à tous les « Viens, Seigneur Jésus » que nous prononçons au cours de la liturgie et qui sont les vecteurs de notre espérance. ils maintiennent en nous cette tension vers le bien ultime.
Par exemple, à la fin du Credo nous disons tous ensemble, avec conviction je l’espère : « j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir. »
À l’anamnèse nous chantons : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »
Et après le Notre-Père, le prêtre poursuit :
« Libère-nous du péché, rassure-nous devons les épreuves en cette vie où nous attendons la bienheureuse espérance (expectamus beatam spem) et l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur. »
Nous n’attendons pas les bras croisés, nous désirons, nous œuvrons et nous nous portons de toute notre âme au-devant de celui qui vient vers nous. En deux mots, vous veillons ! Comment cela ? Par la liturgie dont nous entamons un nouveau cycle aujourd’hui. En effet, c’est la liturgie qui nourrit la veille et l’espérance chrétienne.
L’espérance chrétienne n’est pas une simple « positive attitude » Elle se nourrit de la réalité de l’amour de Dieu qui s’est manifesté concrètement et que, d’année en année, la liturgie nous fait revivre en mémorial. « Tu es descendu » disait le prophète Isaïe. Précisément, durant cette année liturgique, nous allons faire mémoire de l’Incarnation du Sauveur, de sa Nativité, de sa manifestation, de tous les mystères de sa vie, nous allons célébrer sa Passion vivifiante et sa mort sur la Croix, ainsi que le triomphe glorieux de sa résurrection d’entre les morts. Par son Ascension Jésus nous entraînera vers le Père, car il est lui-même cette ancre jetée par-delà notre condition mortelle, dans le cœur de la Trinité Sainte, au-delà de la sphère de notre finitude. Par le mystère de la Pentecôte qui se continue chaque jour pour nous à chaque fois que nous ouvrons notre cœur à la grâce du Christ, c’est précisément cette attraction divine que nous pâtissons, nous nous laissons saisir par cet élan intérieur qui habite tous nos vouloirs et toutes nos actions. C’est l’élan de la sanctification.
Saint Paul nous disait à l’instant :
« Aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ. C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus-Christ. Car Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur »
Dans un admirable cantique en l’honneur de la Très Sainte Eucharistie, saint Thomas d’Aquin résume bien le dynamisme de l’espérance chrétienne : elle puise dans le mémorial des événements du salut, elle confère la grâce dans l’instant, elle nous fait espérer les biens promis que nous savourons déjà. C’est l’essentiel de la liturgie. Cela manifeste à l’envi que sans liturgie et sans sacrements, nous ne pourrions pas espérer, et que sans espérance nous ne pourrions pas vivre.
O sacrum convivium!
in quo Christus sumitur:
recolitur memoria passionis ejus:
mens impletur gratia:
et futurae gloriae nobis pignus datur.
O banquet sacré
où l’on reçoit le Christ !
On célèbre le mémorial de sa passion,
l’âme est inondée de grâce
et la garantie de la gloire future nous est donnée. Alléluia !
Quel bonheur de pouvoir maintenant célébrer ce banquet céleste et sacré