Comme je voudrais qu’il soit allumé
Attention, frères et sœurs, ce passage de l’Évangile est souvent mal compris. Jésus vient de nous dire qu’il n’est pas venu apporter la paix mais la division… et la division jusque dans les familles. Évidemment, Jésus ne vient pas justifier les petites disputes familiales et les petites étincelles qui ne manquent pas d’avoir lieu quand on retrouve la famille pendant les vacances. Non, le sens de cette division que Jésus veut apporter est plus profond. Encore faut-il bien la comprendre.
Face à ces versets difficiles à interpréter, on trouve généralement chez les chrétiens deux erreurs opposées… mais tout aussi fausses l’une que l’autre. La première erreur, l’erreur de gauche si je puis me permettre, c’est de dire : « mais dis donc, on est en train de nous changer la religion ! Être chrétien c’est avoir des valeurs, c’est être bon, accueillant, compatissant et tolérant! Jésus ne peut pas vouloir la division, lui qui n’est que gentillesse, douceur, amour… et bisous ! » Vous l’avez compris, l’erreur de gauche, c’est de réduire la foi chrétienne à un ensemble de valeurs positives… et laïques. Ces chrétiens refusent ce passage de l’Évangile car il ne correspond pas à leurs valeurs. Mais c’est mettre les choses à l’envers ! Ce ne sont pas nos valeurs qui nous montrent quel est le véritable évangile. C’est l’inverse : c’est l’Évangile qui nous montre quelles sont les vraies valeurs de l’homme. Et quand l’Évangile est difficile à comprendre, il faut creuser un peu la difficulté.
La deuxième erreur, l’erreur de droite, c’est d’appliquer froidement ce passage. C’est d’y voir un précepte absolu et simple. Comme si une parole de Jésus pouvait être isolée de toutes les autres. Comme si cet appel à la division pouvait être interprété sans le commandement de la charité. L’erreur de droite c’est donc l’attitude du chrétien qui se sépare froidement des autres… et qui s’en accommode très bien… comme si Jésus n’était pas venu apporter un feu pour toute la terre. « Écoutez mon père, laissons ses pécheurs, ses païens, ses athées à leur propre sort, ils refusent le Christ, c’est leur problème. » Bref, l’erreur de droite, ce n’est pas de refuser ce passage mais c’est le lire bêtement, froidement, sans prendre en compte l’ensemble des Écritures.
Alors nous revoilà à notre case départ. Que faire de ce verset problématique? Qu’est-ce que Jésus veut nous dire quand il déclare à ses disciples : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division » ?
Et bien il me semble que trois points peuvent nous aider à comprendre ce verset d’abord (1) effectivement, l’attachement à Jésus sépare les chrétiens des autres hommes ; mais ensuite (2) cette séparation d’avec les autres, les chrétiens ne la provoquent pas, ils la subissent et(3) enfin le seul motif légitime à tout cela, c’est le feu que Jésus veut allumer dans nos cœurs.
Alors, si vous le voulez bien, regardons ces trois points plus en détail.
Premier point. S’attacher à Jésus, cela implique une séparation. S’attacher à Jésus implique nécessairement de se séparer des séductions du monde. Un chrétien, un disciple du Christ vit dans le monde mais sans être du monde. Ses pieds, ses mains et sa vie sont sur la terre, certes mais une partie de son cœur est déjà au ciel. Et cela doit impliquer, nécessairement, une séparation d’avec ceux qui sont tout entiers absorbés par la vie d’ici-bas. Les Écritures nous invitent de manière pressante à couper avec l’esprit du monde. Saint Paul nous a invités à lutter jusqu’au sang contre le péché. Le Pape François fustige régulièrement toutes les mondanités qui pourrissent les cœurs. Et Jésus apporte la division.
Lorsqu’on a vraiment rencontré le Christ, lorsque l’on fait vraiment l’expérience de son amour personnel pour chacun de nous… cela doit nous changer ! alors il y a plein de choses que l’on ne peut plus faire. Excusez ce paragraphe un peu pessimiste mais notre société contemporaine est devenue profondément anti-chrétienne. Notre société néolibérale repose sur une conception de l’homme qui est fausse et anti-chrétienne. L’homo oeconomicus des libéraux n’a qu’un seul but dans la vie: maximiser son profit, maximiser ses intérêts, maximiser sa jouissance. C’est ça la vision de l’homme qui est derrière notre société.
Alors, nous qui sommes chrétiens… nous qui savons que l’homme est fait pour autre chose que la maximisation du plaisir… nous qui savons qu’il est fait pour se donner à Dieu et à son prochain, alors nous devenons des facteurs de division. Quand un militaire refuse d’aller voir des prostituées avec ses camarades à la fin d’une mission, il est un facteur de division dans son unité. Quand un commercial refuse des profits un peu louches, il est un facteur de division dans sa boite. Quand un financier refuse des opérations légales et juteuses mais injustes et dans le fond, malhonnêtes, il est facteur de division dans son cabinet. Quand un prof refuse certains enseignements idéologiques de l’Éducation Nationale – et Dieu sait s’il y en a ! – il est un facteur de division dans son école. Quand des parents refusent d’avorter leur bébé handicapé malgré tous ceux qui les poussent à cela, ils sont un facteur de division.
Bref, quand on choisit le Christ, quand accepte tout son enseignement, on devient, inévitablement, un facteur de division. Il est donc normal d’être un peu ostracisés, un peu moqués, un peu mis à l’écart…c’est l’état normal d’un chrétien.
Mais attention ici, et c’est mon deuxième point: si cette division est inévitable, nous ne devons ni la cultiver ni la provoquer. Au contraire, cette séparation c’est toujours un crève-cœur, une calamité.
Ici aussi, le témoignage des convertis est éloquent. Je ne sais pas si vous avez vu le film l’Apôtre. Il raconte l’histoire d’un jeune maghrébin vivant en métropole qui découvre l’amour du Christ et demande le baptême. Sa demande fait exploser sa famille musulmane. Il est durement mis à l’écart. Lui ne veut pas la division, il ne veut pas être séparé de ses parents, il ne cherche pas à blesser sa famille… mais il sent que son amour du Christ est trop fort, trop vrai, trop réel pour qu’il le cache, pour qu’il fasse comme si de rien n’était. Et donc il crée des divisions, il entraine même des violences… mais ces violences, il les subit.
Quand Jésus dit qu’il est venu apporter le glaive, il ne nous invite pas à combattre par l’épée, il nous encourage à persévérer, malgré les coups de glaive qui ne manqueront pas de tomber.
Le seul sang qu’un chrétien peut faire couler, c’est le sien. Mais ne nous enflammons pas trop. Nous sommes rarement à ce point. N’écoutons pas le démon de la peur de la persécution qui nous empêche de proclamer notre attachement au Christ ressuscité avec un peu de vigueur. En réalité, hélas, c’est moins des persécutions que notre tiédeur qui nous retient de témoigner de Jésus ressuscité.
Et cela nous mène au troisième point. Pour remettre les choses dans l’ordre, pour que notre attachement à Jésus soit si fort qu’il nous sépare vraiment de l’esprit du monde. Il n’y a qu’une seule condition. Il n’y a qu’un seul motif légitime. Il faut laisser le Seigneur allumer son feu d’amour en nos cœurs, il faut laisser l’Esprit Saint nous embraser.
Pour comprendre ce feu, j’ai un exemple favori : sainte Joséphine Bakhita. L’histoire de cette jeune soudanaise est terrible : enlevée par des marchands d’esclaves à 7 ans, vendue à une famille arabe, battue à mort par le fils, revendue à 10 ans à un général turc, à nouveau battue quotidiennement par ce propriétaire, maltraitée, torturée, entièrement scarifiée, laissée pour morte plusieurs fois, elle est finalement rachetée par un italien qui la donne à des amis à lui près de Venise. Mais ce n’est qu’après plusieurs années de service domestique qu’elle est vraiment libérée par sa rencontre avec le Seigneur dans un pensionnat de sœurs. Bakhita demande alors le baptême à l’âge de 20 ans et devient religieuse à son tour.
Et bien, après 40 ans de vie religieuse, sans avoir jamais revu ni sa famille, ni son village, sans avoir jamais retrouvé le nom de sa mère et même son propre prénom dans sa langue maternelle, elle écrit ces lignes inoubliables. On lit dans ses notes autobiographiques : « si je rencontrais les négriers qui m’ont enlevée et aussi ceux qui m’ont torturée, je m’agenouillerai pour leur baiser les mains, car sans eux, je ne serai ni chrétienne, ni religieuse ».
Frères et sœurs, c’est ce feu d’amour là, que le Seigneur veut mettre en chacun de nos cœurs ! Rien de moins ! C’est un amour comme celui-là qui transporte les montagnes et réconcilie les pécheurs, qui reprend les fautifs et encourage les faibles, qui renonce aux séductions du monde et résiste aux tentations, qui soulève les cœurs et attire les faibles, qui fortifie les malades et transfigure les souffrances, qui renouvelle la société et guérit les blessures.
C’est vrai, ce feu d’amour divise le monde… mais c’est ainsi que Dieu a choisi de le sauver.