La Transfiguration : tu deviendras une bénédiction
Dans chaque vie – et particulièrement dans chaque vie chrétienne – il y a un moment où se dévoile à nos yeux une grande, une indubitable beauté. Elle s’impose à nous, tel un éclat en pleine nuit, elle nous bouleverse et nous laisse terrassés. Nous demeurons saisis par elle – un acte de bonté, un geste de tendresse, une vérité ou une beauté marquent profondément notre histoire. Dans l’opacité de nos existences cette expérience reste inébranlable, fondatrice, elle est une promesse d’un grand bonheur, elle est un grand bonheur. Pour l’un, ce sera l’amour inconditionnel de ses parents, pour un autre – une amitié, si vraie, si fidèle, pour un autre encore – la joie d’un effort et du travail accompli, pour un autre – la venue au monde d’un enfant… Une transfiguration: dans la chair, dans l’épaisseur de notre vie brille, incandescente, la gloire de Dieu.
Chacune de ces théophanies est comme un reflet, comme un écho de l’unique transfiguration du Seigneur. Dans la nuit, sur une montagne, voici que le visage de Jésus rayonne comme le soleil. Il est la gloire du Père. La Loi et les Prophètes lui rendent témoignage : tout ce qui porte notre vie, tout ce qui lui donne sens converge vers lui, Jésus, seul. Et les disciples sont ébahis, émerveillés, saisis, ils s’oublient, et la nuée lumineuse les prend en son sein: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le!
Viendra l’heure des ténèbres et de la passion, viendra l’heure de l’amertume et de trahison, mais jamais ne s’effacera de leurs âmes l’éclat de cette nuit. Cette lumière ne sera détruite ni par la trahison de Pierre – n’est-ce pas elle qui éveille en lui les larmes de pénitence ? Elle ne pourra être anéantie ni par l’ignominie de la Croix – n’est-ce pas elle qui garde Jean fidèle près du Crucifié ? Elle ne s’éteindra pas même devant l’angoisse de sa propre mort – n’est-ce pas elle qui fortifie Jacques, le premier des apôtres à subir le martyre ?
Cette lumière dit en vérité qui est Jésus: le Fils bien-aimé, la Parole vivante du Père. Elle nous révèle aussi qui nous sommes, ce à quoi nous sommes appelés – entrer et demeurer dans la nuée lumineuse de l’amour de Dieu qui fait de nous sa demeure, sa tente de rencontre, son temple solidement bâti dans l’histoire du monde.
Dans chaque vie, disais-je, brille quelque chose de cette lumière. Cette expérience inébranlable du vrai, du beau, qui nous saisi et qui nous porte, qui dit notre identité la plus profonde – c’est elle qui est notre vocation. Car Dieu nous a sauvés, et il nous a donné une vocation sainte… cette grâce est devenue visible à nos yeux. Quand tu trébuches, quand la sombre tristesse anéantit en toi toute joie, reviens vers la lumière de cette transfiguration. C’est là, dans cette théophanie, dans cette venue de Dieu dans ta vie que se dévoile ton identité la plus profonde, ta vocation à la vie. Oui, à la vie, car Dieu te veut vivant, éternellement vivant, et les puissances de l’enfer ne tiendront pas contre le dessein de son amour. Quelle est ma vocation ? Elle est là où tu es intensément vivant. Là où la beauté te saisit. Là où ton cœur contemple et aime.
Quand nous demeurons dans ce foyer lumineux de notre histoire sainte, sur ce Thabor de notre vie, Jésus s’approche de nous, nous touche et nous dit: Relève-toi, n’ais pas peur. Ce toucher du Christ est indubitable, irrécusable. Que je lui soit fidèle ou que je me dérobe à ma mission, cette lumière, elle, reste ineffaçable dans ma vie, comme l’est pour l’un l’amour inconditionnel de ses parents et une joie de l’amitié l’est pour l’autre.
Mais quelle est cette vocation ? Unique pour chacun, la même pour tous. Elle est la voie de notre Carême et le chemin de notre sainteté. Elle résonne dans l’appel d’Abraham : Pars, laisse, sois une bénédiction. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, tu deviendras une bénédiction. Devenir une bénédiction de Dieu – voilà la vocation de chacun d’entre nous. Être une bénédiction : cette parole que Dieu prononce dans le monde et qui fait jaillir la vie. Chaque homme, chaque femme qui vient au monde est comme une parole que Dieu prononce dans son Verbe éternel et qui apporte une lumière unique, à nulle autre pareille. La vie que Dieu fait jaillir par chacune de nos histoires est notre vocation. Être une bénédiction de Dieu pour le monde. Vivre. Donner la vie. Se donner à Dieu pour que la vie puisse jaillir : n’est-ce pas là, le sens de notre Carême, de notre vie ? Le Christ se livre, libre, souverain, le Fils unique du Père, il entre dans les ténèbres, en abandonnant tout, et il se lève, ressuscité, en relevant des innombrables fils de lumière. Être une bénédiction c’est marcher sur ses traces, ne voir que lui, seul, n’écouter que sa voix. Rester fidèle à ce moment fugace et ineffaçable de la gloire de Dieu qui, à un moment ou un autre, a transfiguré notre vie.