Solennité du Christ-Roi
Lorsque Jésus comparut devant Pilate, celui-ci l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit ? » ; Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici ». Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi qui le dis : je suis roi. Moi, c’est pour cela que je suis né, et c’est pour cela que je suis venu dans le monde : pour rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».
Frères et Sœurs
Un jour, quelque part, Jésus avait interrogé ses disciples à son propre sujet : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? »
Ceux-ci lui répondirent : « Pour les uns, tu es Jean le Baptiste, pour d’autres Elie : pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes… Mais pour vous qui suis-je ? »
Dans le passage de l’évangile que nous venons d’entendre, Jésus, au milieu de ses souffrances, semble avoir posé mystérieusement la même question à Pilate : « Pour toi qui suis-je ? ».
De là vient l’embarras que Pilate manifeste par les nombreuses questions qu’il pose à Jésus :
« Es-tu le roi des Juifs ? …
Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ?…
Alors tu es roi ?…
D’où es-tu ?
Peut-être qu’à ce moment-là, Jésus, humilié, épuisé par une nuit de prison, debout devant le représentant de l’empereur qui était assis sur son trône, se rappela-t-il avec joie, la belle et si parfaite réponse qu’il avait entendue de la bouche de Simon-Pierre qui exprimait aussi la foi de ses disciples bien aimés :
« Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ».
« Tu es le Christ » : c’est à dire tu es Celui qui a été « oint », qui a reçu l’onction de l’huile sacrée, parce que tu es aimé de ton Père céleste et de ton peuple : cette onction a fait de toi un vrai Roi : tu es bien un christos selon la langue grecque, ou un messie, mshéha, selon la langue araméenne.
Tu es Jésus, Ieshua, c’est-à-dire « Dieu qui nous sauve » : c’est toi « Jésus le Christ », « Jésus le Messie », c’est toi « le Fils du Dieu », tu es le Fils bien aimé du Père de qui tu as reçu l’onction comme Roi de l’Univers, de tout cses réponses sans les comprendre, Jésus déclara : « Tout homme qui appartient à la vérité, écoute ma voix ». Mais ce malheureux Pilate n’appartenait pas à la vérité mais bien à la puissance politique romaine ; il ne pouvait donc écouter la voix de Jésus, lui, ce Ponce-Pilate, fermé à la vérité, dont nous redisons sans cesse le nom dans notre profession de foi :
« Crucifié pour nous sous Ponce-Pilate, il souffrit sa passion et fut mis au tombeau »
Pilate fit souffrir Jésus qui lui disait la vérité : « Je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».
C’est alors que Pilate demande et se demande : « Qu’est-ce que vérité ? »
Alors, pour exciter la colère de ceux qui veulent la mort de Jésus, Pilate fit crucifier la vérité et écrire sur sa Croix en hébreu, en grec et en latin, un titre auquel il ne croyait pas lui-même, qui indignait les Juifs et avait fait trembler le roi Hérode :
« Jésus de Nazareth, Roi des Juifs ».
En exigeant que soit écrit cela, Pilate, fort de son expérience du gouvernement des hommes, se demandait sans doute dans son scepticisme : « Qu’est-ce qu‘un roi ? ».
De nos jours il nous est difficile de se faire une idée exacte de ce qu’est un « roi », surtout un bon roi car l’histoire des peuples nous a tellement décrit de rois qui furent des despotes, des dictateurs inhumains, voleurs, tortionnaires, injustes, menteurs, que nous risquons d’oublier qu’il y eut parfois de bons rois en ce monde dont certains, comme saint Louis, furent canonisés.
Nos sociétés ont pourtant beaucoup de pseudo-rois, et ce sont ces idoles qui règnent comme de puissants tyrans, difficilement contestables : c’est la tyrannie de l’argent, ou Mammon, qu’on ne peut servir en même temps que Dieu, c’est la passion du pouvoir qui écrase les semblables ou les faibles, l’égoïsme farouche, les plaisirs illimités, et encore bien d’autres puissances qui se révèlent (comme les bâtisseurs de la tour de Babel), incapables d’édifier une civilisation fraternelle et un véritable humanisme, dès lors qu’ils excluent de leurs plans la royauté de Jésus.
Jésus, Roi de l’Univers, venu d’auprès de son Père, nous révèle ce qu’est la véritable Royauté ; il nous invite à faire partie de son Royaume qui lui ne passera pas, et dont il nous révèle qu’il tout proche de nous, qu’il se trouve dans notre propre conversion à la vérité qu’il est lui-même, et dans notre libération de l’esclavage des idoles mondaines.
Dans le Sermon sur la Montagne, Jésus nous invite à rechercher sans cesse et avant toutes choses le Royaume de notre Père céleste :
« Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout le reste… vous sera donné par surcroit » .
« Chercher le Royaume de Dieu » ce sera pour les enfants de l’Eglise, faire arriver cette civilisation du vivre ensemble, la civilisation de l’amour, qui fera de l’humanité, revenue à son pasteur et à son Roi, une communauté de frères et de sœurs unis par le Christ dans son Royaume dont l’Eglise est l’annonce et le commencement.
Dans le magnifique et mémorable discours qu’il prononça au collège Bernardins, en 2008, à Paris, le pape Benoît XVI, voulant évoquer les origines de la théologie occidentale et les racines de la culture européenne, a beaucoup parlé des anciens moines d’Occident.
Le pape a montré alors que la volonté de ces moines, bénédictins ou cisterciens, « n’était pas avant tout de créer une culture nouvelle ou de conserver une culture du passé, c’était beaucoup plus simple : leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr ».
La méditation, la contemplation et la prière de ces moines étaient à la fois tournées vers l’avenir, vers l’eschatologie, mais leurs yeux étaient tournés aussi vers le présent en y cherchant, au sens existentiel, ce qui est définitif.
C’est l’amour de la vérité avait conduit ces religieux, vrais maîtres spirituels, à faire naître autour d’eux, sans le chercher directement, une vraie culture européennes dont nous bénéficions toujours.
Ces moines, par leur vie de prière et d’ascèse, cherchaient avant tout le Royaume de Dieu et c’est pourquoi ils ont été comme récompensés par la naissance d’une vraie civilisation. Leur persévérance dans la prière et le combat spirituel nous rappellent aussi qu’il faut s’emparer du Royaume de Dieu « avec force et violence », qu’il faut le conquérir par la lutte contre nous-mêmes et contre l’esprit du monde qui nous assaille.
Dans l’histoire de l’humanité, et de nos jours, nous assistons une sorte de destruction permanente de ce Paradis terrestre qu’est la création et que Dieu a faite pour l’homme.
. Le mal, le péché, des forces démoniaques ne cessent d’agresser l’œuvre de Dieu afin de la faire échouer, de faire ainsi le malheur de l’humanité en la détourant de Dieu par ses ruses et ses mensonges et en y maintenant le royaume du Prince de monde.
Saint Paul nous dit que c’est par « l’envie du démon », que la mort est entrée dans ce monde.
Face à ces forces du mal, Jésus-Christ, par une Rédemption sanglante, rétablit son règne par sa Croix glorieuse et il reconquiert, avec l’Eglise, son propre domaine usurpé et volé par le Mauvais. Ce Mauvais dont nous demandons sans cesse la fin du règne, dans la Prière du Seigneur : « Mais délivre-nous du Mal ».
Notre vie chrétienne se situe donc au point de rencontre entre deux Royaumes qui s’affrontent l’un l’autre : celui de ce monde, usurpé par le démon, et celui du monde nouveau, que le Christ s’est acquis au prix de son sang, par droit de Rédemption.
La veille de sa comparution devant Pilate, le Jeudi-Saint, Jésus avait prié son Père, pour ses disciples et pour nous tous :
« Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » .
Jésus n’est pas du monde et son Royaume n’est pas de ce monde : ses disciples et nous-mêmes aujourd’hui, nous sommes toujours « dans le monde », mais nous ne sommes plus « du monde » car le choix de Jésus nous a tous intégrés à l’Eglise qui est la préfiguration et le commencement de la réalisation du Royaume de Dieu et dont la Vierge Marie, couronnée Reine par son Fils, est la plus parfaite image et annonciation.
Saint Paul évoque ce mystère qu’est l’Eglise par dans la lettre aux Colossiens : « Dieu nous a arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé » .
Nous sommes nés sous l’empire de l’usurpateur mais, plongés dans la vie du Christ par le baptême, nous vivons maintenant de la vie éternelle. Notre vie sera donc, le perfectionnent progressif, au jour le jour, de ce passage d’un royaume à un autre.
Dans sa lettre apostolique « La lumière de l’Orient », Jean Paul II a montré que le chrétien devait se détacher progressivement de ce monde, pour retrouver le vrai monde, pour revenir dans celui de la création telle que Dieu l’a conçue : ce détachement consiste à se libérer de ce qui en ce monde nous empêche d’aller vers Dieu et qui fait donc obstacle à cette rencontre et à cette communion avec le Roi de l’Univers.
C’est encore auprès des moines, mais cette fois-ci ceux d’Orient, que Je an Paul II nous invite à découvrir comment passer d’un royaume à l’autre.
« C’est dans le détachement progressif de ce qui dans le monde constitue un obstacle à la communion avec son Seigneur, que le moine retrouve le monde comme le lieu dans lequel se reflète la beauté du créateur et l’amour du Rédempteur… il peut être donné au moine de contempler ce monde déjà transfiguré par l’action déifiante du Christ mort et ressuscité », lui, Jésus notre Rédempteur, dont nous célébrons aujourd’hui la royauté universelle et définitive.
Bien sûr, Frères et Sœurs, vous aurez compris qu’il ne faut pas hésiter à remplacer ce mot de « moine » par votre propre nom personnel, car c’est chacun de nous, et tous ensemble, que nous sommes appelés à constituer l’immense assemblée des enfants de Dieu évoquée par le Psaume :
« Joie pour Israël en son auteur,
pour les fils de Sion,
allégresse en leur roi »
La fête du Christ-Roi c’est une fête éternelle car dès maintenant et éternellement nous nous réjouissons de la Royauté de notre Père céleste, et parce que c’est la fête du Roi de l’univers, c’est la fête de l’Univers tout entier : toute la création chante les louanges de son Créateur, les créatures célestes et créatures terrestres, les visibles et les invisibles, qui chantent avec le psaume :
« Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur : à lui haute gloire et louange éternelle ».
Parce que c’est la fête du créateur de l’Univers c’est une fête « universelle » et nous souhaitons qu’elle le soit sans cesse davantage : Nous souhaitons que toute l’humanité applaudisse en reconnaissant en Jésus-Christ, son vrai et unique Roi, le Christ qui est parfaitement « universel », lui, le rédempteur de tous les hommes.
Soyons donc nous aussi vraiment « universels », comme il convient aux sujets d’un tel Roi : c’est-à-dire soyons « catholiques » ce mot étrange qui, en grec, signifie précisément « universel » : Il nous faut vivre cette vraie fraternité universelle fondée par le Christ, qui nous fait rencontrer en chaque être humain un frère ou une sœur en Jésus-Christ : soyons des Frères universels, et nous seront alors les dignes sujet de ce Roi que nous célébrons aujourd’hui dans la joie.
Amen