Comment écouter Dieu et jusqu’où ?

par 8 Mar 20202020, Carême, Homélies

1. Inouï ! A proprement parler, c’est inouï ! Jamais n’est venue aux oreilles de disciples une parole comme celle-là : « Celui-ci est mon Fils, l’Aimé, en qui je me complais, écoutez-le » [Matthieu 17, 1-9]… Jamais encore ! Et si sur les bords du Jourdain, après le baptême de Jésus, d’autres personnes avaient déjà pu entendre la voix du Père disant : « Celui-ci est mon Fils, l’Aimé, en qui je me complais » [3,17] – l’inouï pour tout homme porte aujourd’hui sur l’impératif à pratiquer : écouter Jésus, ce Fils, le Bien-aimé du Père. Il ne suffit pas de connaître son identité, mais de l’écouter. C’est un commandement nouveau. Satan a déjà éprouvé ce à quoi condamne de ne pas vouloir vraiment écouter la Parole du Seigneur ; pire, la manipuler !
Mais comment écouter ? Un mystère biblique ne demande pas seulement à être contemplé. Il porte en lui quelque chose de vivant, de fécond. Il ne vise pas d’abord à étonner, à surprendre, demeurant extérieur ; mais plutôt à enseigner, à révéler, à nous ressaisir, à nous marquer. Il peut  échapper à une compréhension immédiate, mais il va irriguer l’intelligence et le cœur, renouveler et déposer une paix en profondeur pour qui l’écoute ; rappelez-vous la remarque de Jacob après son songe : « Vraiment le Seigneur est en ce lieu ! Et je ne le savais pas » [Genèse 28,16].
Un mystère biblique n’est pas seulement une réalité étonnante. Un exemple pourra nous aider à en prendre conscience. Ainsi, pensons à la rencontre de 1931, entre le physicien Albert Einstein et l’acteur Charlie Chaplin, alias « Charlot » : « Ce que j’admire le plus dans votre art, dit Albert Einstein c’est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant le monde entier vous comprend. — C’est vrai, répliqua Chaplin. Mais votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend. » Il n’en va pas ainsi pour le mystère biblique et la vie divine qu’il communique.
 
2. Devant la transfiguration de Jésus-Seigneur, Pierre, Jacques et Jean sont certes saisis ; le spectacle est là, exceptionnel et admirable. Mais en revanche, ils vont recevoir une parole et une aide qui les adapteront à la situation. Cette parole divine mettra du temps à cheminer de l’oreille au cœur. Mais elle alimentera peu à peu leur foi. Ce moment sur la « haute montagne » s’était ouvert avec une ampleur jusque-là inconnue.
Rappelez-vous : Moïse, Elie, en compagnie du Seigneur en Gloire. On comprend que, désemparé, Simon-Pierre ait déjà voulu dire quelque chose ; car quand une situation surprend Pierre et le dépasse, il présume qu’il doit dire quelque chose, faire une déclaration. Et serait-il seulement avec Jacques et Jean, il conserve ses réflexes de premier parmi les Douze ! Mais comme un mauvais tireur, en se précipitant, il manque la cible. « Il ne savait que répondre » [Marc 9,6]. Il est entier, zélé mais maladroit. Il a du mal à se hisser à la hauteur où le Sauveur se livre et lui donne rendez-vous. Mais n’avons-nous pas souvent une maladresse équivalente…
 
3. Aussi pour guider et affiner notre foi, le Seigneur prend-il les devants. Pour que le Fils soit écouté, pour que l’inouï de la Parole du Père soit apprécié comme une attestation unique, un signe incomparable, « une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ».
Dieu va équiper, mettre à niveau, adapter ces trois disciples en les enveloppant de sa Présence. La Parole du Père aura alors pu révéler aux trois disciples qu’ils avaient raison de suivre le Christ qui les a choisis. Que le Seigneur changera leur peur, leur crainte, en paix et en lumière. Oui, écoutons le Seigneur comme il se livre. Il sait ce qu’il va nous dire, et ouvrant nos oreilles, il nous adapte à son message. Entre la parole maladroite et la Parole inouïe, entre celle de Pierre et celle du Père, entre la manifestation de Moïse et d’Elie et le retour au quotidien des jours, il y aura eu la nuée qui recouvre, l’Esprit de Dieu qui renouvelle et alimente la foi. Sans cela, rien ! C’est à cette hauteur que le Sauveur nous permet de nous tenir.
Ne nous leurrons pas : « la vie la plus dure n’est pas celle des hommes qui affrontent la mer, fouillent la terre, ou cherchent de l’eau dans les déserts. La vie la plus dure est celle de l’homme qui chaque jour, sortant de chez lui, se cogne la tête au linteau parce que celui-ci descend trop bas. » (Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des cancéreux). Pour notre quotidien, par grâce, Dieu va élever le linteau, éviter à Simon-Pierre de vivre tête basse, zélé et se cognant. Pâques est à l’horizon ; la vie debout avec sa Lumière unique. Le Seigneur illumine les disciples à son Heure. La Transfiguration de Jésus annonce notre transformation.
 
4. Encore faut-il vraiment accueillir le mystère de l’Évangile ! Pour le chrétien, il est à portée d’un cœur humble, mais il reste plus grand que l’esprit humain. Réalité quotidienne reçue dans la foi, le mystère traduit enseignement, renouvellement et immensité. Dieu s’y révèle avec le but que saint Paul confiait : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce » [2°Timothée 1,9].
Cette mission – si vous l’acceptez – est d’accueillir cette grâce : la liberté en sort grandie, affermie ; notre vie sera ainsi redressée, transfigurée, pour nous faire « discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait » [Romains 12,2]. Puisse la force de Dieu féconder alors notre courage avec sa Sagesse pour que nous accomplissions à toute heure la volonté du Père !