Effigie de Dieu

par 19 Oct 20202020, Homélies, Temps Ordinaire

fr_luc-thomas

Jésus n’est pas dupe des flatteries par lesquelles ses adversaires introduisent le piège dans lequel ils espèrent l’enfermer. Jésus pénètre les intentions secrètes des cœurs et il met au jour l’hypocrisie qu’il n’a de cesse de fustiger. Ce dialogue entre Jésus et des pharisiens et partisans d’Hérode n’est rien moins que la confrontation entre la vérité innocente et menacée et un zèle hypocrite et meurtrier de la part de prétendus serviteurs de Dieu. Jusqu’au retour du Christ ce drame ne cessera de se jouer de nouveau, car si Jésus ressuscité ne peut plus être mis à mort il continue d’être crucifié en ses membres qui sont ses frères. Et des fanatismes religieux ne sont pas moins meurtriers aujourd’hui que les athéismes ne le furent naguère. Au jour du jugement de Dieu tous les desseins pervers seront manifestés. Jésus, qui inaugure le Royaume, dévoile les ruses, les fraudes, les faux-semblants et tous les avatars de mensonge et celui qui vit de son Esprit reçoit cette lucidité, cet instinct du Saint-Esprit qui aperçoit le loup sous la peau de brebis. Dans l’obscurité du temps présent, obscurité du monde pécheur et obscurité de l’Eglise, sainte mais défigurée par le péché, le disciple du Christ doit faire œuvre de clairvoyance, de discernement attentif, de détection de tous les faux-monnayeurs.

Le faux monnayeur n’est pas seulement celui qui contrefait la monnaie officielle, mais aussi celui qui blanchit l’argent sale ou qui de toute autre manière en fait un usage trompeur ou détourné. Les adversaires de Jésus sont ainsi de faux monnayeurs dans l’âme et Jésus leur rend, pour ainsi dire, la monnaie de leur pièce en les piégeant à son tour à partir de la monnaie de l’impôt. Jésus ne se prête pas à l’alternative du révolutionnaire ou du collaborateur avec l’occupant. Sa réponse perce une brèche dans l’encerclement qui l’enserre. Si la monnaie de l’impôt porte l’effigie de César, cet impôt est à verser à celui dont elle porte l’effigie, César. Mais Jésus n’en reste pas là, lorsqu’après avoir dit de rendre à César ce qui est à César, il ajoute qu’il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Tout n’est donc pas à César. César ne doit pas annexer ce qui est à Dieu. Mais comment comprendre cela ? Est-ce à dire qu’au nom de Dieu ou de la religion le chrétien peut se soustraire aux lois civiles ? D’une part l’Ecriture ne cesse d’exhorter à respecter toute autorité comme venant de Dieu et d’autre part elle nous avertit d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Comment concilier ces deux injonctions ? Le chrétien se doit clairement d’obéir à l’autorité civile légitime, comme citoyen mais aussi comme chrétien. Mais lorsque cette obéissance le mettrait en contradiction avec celle due à Dieu, alors il obéira à Dieu plutôt qu’aux hommes, non pour son confort mais par fidélité, héroïquement et quoi que cette objection de conscience puisse lui causer comme dommage. Il rendra alors à Dieu ce qui est à Dieu.

Mais rendre à Dieu ce qui est à Dieu ne se réalise pas que dans ces circonstances exceptionnelles où César empiète sur ce qui appartient à Dieu. Il n’y a pas deux territoires, un séculier et un religieux, un humain et un divin, dont la laïcité serait le garde-frontière pour protéger chacun des incursions de l’autre. Car tout est à Dieu. Car l’humain est divin, par création et par incarnation. Par création car l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Sur ce denier se lit l’effigie de Dieu. Et il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Porter atteinte à l’image de Dieu, c’est porter atteinte à Dieu en son image. Par incarnation aussi, car en la Personne du Verbe de Dieu, la nature divine s’est unie à la nature humaine et désormais l’humain est totalement assumé dans le Christ, qui est l’Image du Dieu Invisible. Porter les traits du Christ, qui est l’effigie de la substance divine, c’est être image de la Parfaite et consubstantielle Image du Père. Nous sommes au Christ et le Christ est à Dieu. Il ne s’agit donc pas de rendre à Dieu ce qui n’appartiendrait pas à César. Tout l’humain est à Dieu. Et lorsque des lois bafouent la dignité, excluent même de la vie nos frères en humanité, alors rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est bien obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Pour chacun d’entre nous et pour l’Eglise entière. Car plus que toute autre l’Eglise doit rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Certes elle ne peut manquer de le faire en tant qu’elle est le Peuple de Dieu, le Corps du Christ et le Temple de l’Esprit. Mais tant s’en faut que du bas jusqu’au haut de sa hiérarchie tout ce qui est à Dieu soit rendu à Dieu. L’Eglise a mission d’annoncer le salut en Jésus-Christ, mort et ressuscité. C’est cela qui est au cœur de notre foi. C’est cela qui doit être au cœur de la prédication. C’est cela qui doit être au cœur du Magistère. Mais pour cela il faut résister au déclin du courage, car, disait le saint Pape Pie X, « la force des méchants, c’est la lâcheté des bons ». Que Dieu nous y aide. Que Dieu nous garde en sa grâce et nous donne la force des doux. Que Dieu nous donne de rendre à Dieu ce qui est à Dieu.