Eglise de pierres ou Jérusalem céleste ?
Saint Thomas disait que de Dieu on ne pouvait pas tant savoir ce qu’il est mais plutôt ce qu’il n’est pas, ce qui suppose de nier toute affirmation sur Dieu par voie d’excellence : Dieu est, non pas comme ceci ou cela, mais il est de manière suréminente. La liturgie de la fête de la Dédicace d’une église souligne à l’envi cette forme de paradoxe : nous nions ce que nous célébrons. Nous célébrons une église de pierres pour affirmer que l’Église n’est pas un édifice de pierres. En réalité, nous sommes bien dans le registre de la sacramentalité, où le concret et le visible ne doivent jamais arrêter nos regards et nos considérations, mais doivent les orienter vers la « res », la réalité ultime qu’ils signifient. L’édifice de pierres n’est pas une fin en soi, il signifie et nous fait désirer l’édifice spirituel qui est une réalité vivante, corporelle, celle du Christ total, tête et corps. L’Apocalypse nous dit bien que dans la Jérusalem céleste, il n’y aura plus de Temple, car son Temple, c’est le Seigneur, le Dieu maître de tout, et l’Agneau (Ap 21, 22). Elle n’aura plus besoin de luminaires, « car la gloire de Dieu l’a illuminée. » En quelque sorte, dans la patrie, il n’y aura plus besoin d’intermédiaire, de signe ni de symbole pour nous communiquer la vie de Dieu, tous y auront un accès immédiat. Mais tant que nous sommes en voyage, tant que nous sommes ici-bas, nous avons besoin de signes et de symboles, nous avons besoin des sacrements et de la liturgie pour rejoindre Dieu et être rejoints par Dieu, nous avons besoin des uns et des autres, chacun muni de charismes, de ministères et de fonctions diverses au bénéfice du corps tout entier.
De cet édifice sacramentel qu’est l’Église elle-même, la dédicace est comme l’expression liturgique, nous invitant toujours à un dépassement du sensible pour voir l’essentiel. Un regard trop humain sur l’Église catholique pourrait nous faire douter de sa sainteté, voire de sa pertinence pour rejoindre les hommes et les femmes de notre temps. Un regard de foi nous rappelle qu’elle est le signe et la réalisation réelle mais partielle d’une communion voulue par Dieu en la personne de Jésus-Christ notre sauveur. L’Église, c’est Jésus-Christ continué dans l’espace et dans le temps. L’Église, c’est l’invitation perpétuelle faite à toute l’humanité de participer à la vie de Dieu. « L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! », clame l’Apocalypse. L’invitation est toujours actuelle et toujours pertinente, mais pour que cette invitation soit relayée aujourd’hui encore, l’Apocalypse ajoute : « Que celui qui entend dise : « Viens ! » (Ap 22, 17). Pour que ceux qui entendront puissent venir et entrer dans ce mystère de communion, encore faut-il que les portes de l’Église demeurent ouvertes. En décrivant la Jérusalem céleste, l’Apocalypse nous dit qu’elle est pourvue d’un haut rempart, symbole de sa vérité protectrice, et de douze portes, trois à l’orient, trois au nord, trois au midi, trois à l’occident (cf Ap. 21, 13). Tous les peuples y sont appelés. Aucune porte ne doit être obstruée. Alors que notre frère Jean-Marie a fermé les yeux sur ce monde d’ici-bas, nous pouvons aussi nous interroger de savoir comment maintenir ouvertes les portes vers l’Orient.