Enivrez-vous de l’amour du Christ
Jésus se bat contre les différents groupes politiques, idéologiques et théologiques de son temps. Il y là les Hérodiens, qui sont plutôt politiques, il y a les Saducéens et les Pharisiens, qui sont plutôt théologiques. Sur un point en revanche ces trois groupes sont d’accord : Il faut absolument réussir à tendre un piège à Jésus afin qu’il finisse enfin à se manifester devant tout le peuple d’Israël comme un imposteur. Mais entre eux, ces trois groupes ne se supportent pas très bien, car ils ne sont pas d’accord sur maintes questions théologiques et idéologiques. C’est pour cette raison que chaque groupe cherche à gagner ce concours contre Jésus, car cela aurait des conséquences formidables de prestige et d’autorité pour le groupe victorieux. Si l’on regarde donc cette scène de l’Évangile avec une certaine distance, on a l’impression de se retrouver lors d’une compétition de boxe à L’Estaque : La nuit des Titans. Là, il y a différents clubs de la fédération française de la boxe qui aimeraient enfin détrôner le champion de boxe de Provence Alpes Côte-d’Azur qui tient ce titre depuis déjà quelques années. Mais ils souhaitent également que le nouveau gagnant soit l’un de leur propre club. Alors ils se frappent à coup de panisses et de chichis-frègis avec le cri des supporteurs bien engagés : « Je te casse la bouche ». Et si l’un des clubs n’a pas réussi à avoir la palme de victoire, l’autre club en est bien content comme les pharisiens de l’Évangile d’aujourd’hui qui se réjouissaient que Jésus n’eût évidemment pas cassé la bouche, mais tout au moins fermé la bouche du club des Saducéens. Et peut-être les pharisiens se sont-ils rappelés avec joie d’un versé du psaume trois où il est écrit : « Seigneur, Tu frappes à la joue mes adversaires. Tu brises les dents des impies ».
Alors à leurs tours, les Pharisiens essaient de tendre un piège à Jésus : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » (Mt 22, 36). La réponse est bien connue et elle était déjà bien connue des Pharisiens aussi. Jésus a donc bien réussi l’examen : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » et ensuite, en union avec ce premier commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 37). La suite de l’Évangile ne nous révèle pas la réaction des Pharisiens et en quoi ils se sentaient vaincus. Pour le saint Cardinal Robert Bellarmin (1542–1621), jésuite et docteur de l’Eglise, les Pharisiens se sentaient vaincus, car ils n’avaient pas admis que Jésus identifie ce commandement avec lui-même en disant : « Prenez sur vous mon joug » – « Mon joug est facile à porter et mon fardeau, léger », « Et vous trouverez le repos » (Mt 11, 29). Le joug agréable à porter est le commandement de l’amour. Le joug facile à porter est la charité du Christ qu’il nous a manifesté en portant sa croix pour nous sauver et que nous sommes tous invités à porter à notre tour, pour devenir amour et charité comme Jésus. Il n’y a en fait pas d’autres possibilités ou alternatives dans notre vie que d’aimer Jésus et accueillir ce doux joug et ce fardeau léger pour être heureux et trouver le bonheur.
Mais pourquoi Jésus appelle-t-il ce grand commandement doux, facile et léger, qui nous donnerait la paix, la sérénité intérieure et la vie éternelle, un joug ou un fardeau ? Les Pharisiens savaient très bien que toutes les lois de la Thora pesaient lourdement sur les épaules des fidèles juifs, un fardeau que les pharisiens eux-mêmes n’étaient pas tout à fait prêts à porter (cf. Mt 23, 3). En revanche, Jésus propose un fardeau que lui-même a porté, un fardeau agréable, qui est simplement et uniquement amour et charité. Mais pourquoi la charité reste-t-elle encore un joug et un fardeau ? – Simplement parce qu’un joug signifie pour l’homme toujours une sorte de dépendance. L’homme devrait accepter avec ce grand commandement de l’amour de Dieu sa dépendance de l’amour et de la charité divine. C’est cette dépendance de l’amour et de la charité divine qui est tout à fait quelque chose d’agréable et doux. C’est justement cette dépendance de l’amour divin qu’en fin du compte les pharisiens ne pouvaient pas accepter et c’est pourquoi eux aussi se sentaient vaincus par Jésus.
Il y a de nos jours maints exemples qui nous montrent la réalisation de cette dépendance, de ce paradoxe de la douceur du joug d’amour de Jésus : Il y a quelques années un guitariste anglais très connu dans son milieu, Eric Clapton, a édité ses mémoires. Il écrit comment il avait déjà deux fois terminé une cure de désintoxication d’alcool et comment à deux reprises il a rechuté. Pendant sa troisième cure de désintoxication il commença à avoir des crises de peur, de panique et de dépression en pensant à la fin de la cure et à la rechute. Il ne savait plus quoi faire et les tentations d’un suicide arrivaient. Mais le soir venu, en pleurant et en pleine dépression il se mettait à genoux et priait. « Jésus, j’ai besoin de toi – sans toi je ne peux rien faire. Aide-moi. » Depuis ce moment-là, il a été guéri de sa dépendance à l’alcool. Eric Clapton a compris que l’acceptation de sa dépendance de l’amour de Jésus est son salut. Le commandement de l’amour de Dieu n’est plus un commandement, n’est plus un joug, même léger, mais joie, paix et vie éternelle. Charles Baudelaire disait à juste titre : « Il faut être toujours ivre. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules, il faut s’enivrer sans trêve. De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous ! » (Le spleen de Paris, Pléiade p. 286). Pourquoi alors ne pas nous enivrer du grand commandement de l’amour et de la charité de Jésus ? Rendons-nous entièrement dépendant de l’amour de Jésus ! En union avec Jésus nous serons toujours victorieux et nous trouverons la paix que le monde ne peut pas nous donner.