Façon Joseph
La lecture du Martyrologe et des hagiographies, toujours édifiante, donne parfois l’impression d’une sorte de spécialisation des saints, invoqués pour tel besoin ou dans telle situation selon les traits saillants et les miracles de leur vie. Et l’on remarque ainsi que, ces derniers jours, la cote de saint Roch remonte en flèche, par exemple …. Or, saint Joseph semble, lui se caractériser par l’amplitude de ses « compétences » tutélaires. Amplitude invitant à l’invoquer de manière constante et quotidienne, et aussi éminence : l’un des paradoxes de ce discret, silencieux parmi les silencieux et (là où d’autres pères de figures scripturaires illustres disent quelques mots : Jessé père de David, Manoah père de Samson, …), est, en quelque sorte, le prestige de ses sollicitudes. En résumé : gardien et intendant des biens les plus précieux : les familles ; la virginité et avant tout son essence, c’est-à-dire le propos de virginité posé et offert dans la charité, et par là toute consécration ; la Vierge Marie, de la virginité de qui dérive la sienne, et leurs deux puretés de la sainteté même de Dieu ; l’Eglise. Secourable dans les grandes épreuves : les nécessités et les tribulations ; le passage de la mort. Protecteur des commencements : de l’enfance à la vocation ; de la croissance, des fleurs et des premiers fruits des vies humaines.
Tout cela se justifie avant tout par sa vie et sa mission sur la terre : veiller sur le Fils de Dieu même et Le servir en remplissant la charge conjugale et paternelle assignée par le Père, de sorte qu’en toutes ses veilles, c’est premièrement et ultimement la grâce et son œuvre qu’il garde et protège. Mais sa fonction ne peut être la seule explication. Son éminence dans la sainteté et auprès de son Fils de la terre, c’est dans son cœur disposé et sa vie donnée qu’elle s’enracine. Un cœur disposé à la vie en Dieu et à la Promesse, qui fait de lui une haute figure des « pauvres du Seigneur » et un juste par excellence : devant Dieu et selon la Loi qu’il ne rechigne pas à respecter lorsqu’il apprend l’état de son épouse avant leur cohabitation, tout en cherchant à en adoucir les effets. Mais juste, il l’est pleinement dans sa vie donnée au Seigneur selon Sa volonté, au-delà de ses incompréhensions et à rebours de ses projets. Car il ne se tient pas seulement au seuil du mystère de Dieu : en vertu de l’« admirable échange » de l’Incarnation, il y entre et y pénètre jusqu’au Saint et au Saint des saints, alors que Dieu en Personne entre, avec un certain fracas, dans sa vie. Il s’avance vers le mystère de Dieu en Sa volonté et Son dessein, franchissant le portail de la foi, et, animé et mû par l’amour, celui de Dieu avant tout, celui des deux qui lui sont confiés, en répondant à cet amour reçu, il poursuit sur le chemin de l’espérance.
A la différence de Marie, il n’a pas de lien de chair avec Jésus, et pour cette raison sans doute, son accueil du Verbe implique son silence, à la différence de la Vierge dialoguant et répondant. Mais Jésus peut bien être dit fils de Joseph comme de Marie, car comme elle, lui l’a accueilli dans son cœur et s’est remis au Seigneur pour que Sa volonté soit faite, dans une moindre clarté intérieure que celle de Marie préservée du péché originel, mais dans le même élan. Dans les journées qui s’écoulent comme dans les angoisses et les tribulations, voilà le juste : celui qui fait le pas en avant dans la foi et œuvre au Royaume en ayant pour seule assurance la foi et l’amour lorsqu’il suit la volonté du Seigneur.
Telle est sans doute la raison préalable des « titres » de saint Joseph, sans déprécier nullement sa proximité humaine unique avec le Christ, puisque c’est le Seigneur qui en est l’origine, l’objet et le sens. Ainsi est-il désigné pour veiller sur le plus précieux en chacun de nous, comme secours et comme modèle. Et il nous offre et nous enseigne sa manière propre de vivre en Dieu : celle d’un collaborateur du Royaume en tout ce qu’il fait de son quotidien comme dans les moments extraordinaires, celle de l’humilité silencieuse et vigilante pour que puisse résonner la Parole dans le monde, celle d’une vie où se réalise la justice en Dieu dans l’obéissance confiante et en étant référée à Jésus et Marie. Ce programme joséphique peut s’accomplir en nous à partir du moment où nous prenons au sérieux la parole de l’ange, déjà prononcée dans l’Ecriture : « Ne crains pas », pour que tout ce que le Seigneur a disposé en nous et pour le monde puisse, avec Lui et en Lui, se réaliser en nous et par nous.