Il ne leur disait rien sans parabole
Jésus est pédagogue, mais il prend par-là de grands risques. Le danger, avec les paraboles, c’est qu’on peut en tirer un peu ce qu’on veut.
Prenons l’ivraie et bon grain par exemple. On pourrait se dire que la terre, la bonne terre de la parabole de dimanche dernier, est le cœur de chaque homme, dans lequel il y a du bon et du mauvais, et qu’il serait dangereux d’essayer d’arracher le mal de notre cœur, puisque ce qui est bon risque d’être enlevé aussi. Ménageons nous donc, et composons avec notre péché, au risque de nous faire du mal… Mais comment comprendre l’appel à la conversion qui parcourt l’Évangile ?
Les disciples qui voient notre désarroi demandent une explication, et Jésus écarte cette première interprétation de la parabole de l’ivraie.
A la différence de dimanche dernier, le terrain, ici, n’est pas notre cœur dans lequel pousserait du bon, et du mauvais. La semence , ici, ce n’est pas la parole.
La semence, ce sont les fils du Royaume pour le bon grain ; et les fils du Mauvais, pour l’ivraie,
Cette semence est jetée dans le monde, et se développe jusqu’à la moisson, au jugement dernier… Et la pointe de notre parabole semble dire que ce n’est pas à nous de construire le Royaume en mettant les personnes dedans ou dehors. Veux tu que nous allions l’enlever ? Non répond le maître, laissez les poussez ensemble jusqu’à la moisson, la fin du monde, quand le moissonneur enverra ses anges pour arracher les fils du mauvais et les jeter dans la fournaise de feu.
Merci Jésus, c’est plus clair. Mais cette explication, limpide, ne peut pas nous interroger. On a jamais vu, en effet, de l’ivraie se transformer en bon grain. Et donc, si à la fin des temps il y a des damnés et des élus, faut-il conclure que nous sommes tous prédestinés à notre destination éternelle, le ciel pour les heureux élus qui ont la chance d’avoir été « bon grain », et l’enfer pour les pauvres tiges d’ivraies qui essayent de pousser correctement, mais qui un jour seront jetées au feu ?
Et voilà le danger dans lequel on tombe, lorsque on isole un passage de l’écriture, lorsqu’on isole une explication de Jésus. En effet, si on regarde bien, cette explication ne vient pas directement après la parabole. Entre les deux, Saint Matthieu prend soin d’intercaler deux autres paraboles, celle de la graine de moutarde, et celle du levain dans trois mesures de farine.
La graine de moutarde nous suggère un rendement extraordinaire. Une multiplication, une augmentation. A partir de la plus petite des semences, qu’on voit à peine, se développe un grand arbre dans lequel des oiseaux viennent se reposer.
Le levain dans la pâte nous suggère, à la différence du bon grain et de l’ivraie, une certaine transformation, un passage d’un état à un autre. Ce qui ne lève pas, au contact du levain, se transforme, lève et devient apte à faire lever encore d’autres mesures de farines.
Faut-il donc, à l’exemple de Jésus, détailler chaque élément de ces deux autres paraboles, pour équilibrer ce qui peut nous paraître trop violent ou peu audible dans la première ?
Je ne le crois pas.
Jésus ne détaille qu’une seule des trois paraboles de notre extrait, et les deux autres qui sont enchâssées entre la parabole et son explication, font corps avec la première, et Saint Matthieu n’a pas oser séparer les trois pour introduire l’explication de la première.
Plutôt que de risquer de figer l’enseignement de Jésus selon une interprétation personnelle, je préfère, comme lui, utiliser une parabole, et il y en aura donc une quatrième ce dimanche. Elle n’est pas révélée, mais j’espère qu’elle sera éclairante.
L’enseignement de Jésus, est semblable à un cordage, dont se servent les marins d’un navire. Ces derniers se réjouissent de la solidité et de la souplesse de ce cordage. Mais voici qu’un jeune mousse inexpérimenté décide de défaire le cordage, et de se servir de chaque brin séparément, pour gagner de la longueur de fil. Ce qui doit arriver arrive, chaque brin fini par se défaire, retourner à l’état de fibre, et le cordage est perdu.
Explique nous la parabole du cordage demande l’assemblée interloquée ?
Bon d’accord. Le cordage, c’est l’enseignement que Jésus nous donne aujourd’hui. Les différents brins, ce sont les différentes paraboles. Pris séparément, chaque brin semble avoir une certaine unité, une cohérence, il dit quelque chose de concret et qui n’est pas immédiatement compatible avec un autre brin du même cordage. Mais pris séparément, les brins sont fragiles et ne résistent pas très longtemps si on tire dessus, si on essaie de les exploiter indépendamment des autres. On en voit vite la limite. Ils se décomposent, on ne peut plus rien en tirer.
Mais voilà : avant l’intervention du mousse, les différents brins, les différentes paraboles, ne sont pas juxtaposées, mais elles sont solidement tressées ensemble.
Il faut donc résiste à la tentation du mousse, celle de vouloir trop séparer les différents éléments de l’enseignement, et d’en oublier l’un ou l’autre. Moi je suis plus touchée par cette parabole. Et moi plus par celle-là. Non. L’enseignement de ce dimanche forme un tout. Trois paraboles, formant un cordage soigneusement tressé, souple et résistant, pour nous hisser vers le Royaume des cieux.