Je vois et je crois

par 22 Mar 20202020, Carême, Homélies

Sans aucun doute, la piqûre de rappel liturgique du quatrième Dimanche de Carême, celui du Laetare, dont l’introït et les prières nous invitent à la joie, n’a jamais été mieux venue ! « La joie du Seigneur est notre rempart » (Ne 8, 9-10), comme nous le chantons à Laudes chaque dimanche durant ce temps privilégié. Cette joie trouve sa source inépuisable et son socle inébranlable là où prend sa source la lumière véritable, que nous célébrons aussi aujourd’hui en méditant la péricope de l’aveugle-né rendu à la vue : dans le Christ Ressuscité. Tout est éclairé aujourd’hui, dans ce premier dimanche de printemps où la nature semble nous instruire et nous consoler, par un soleil pascal, déjà levé et qui ne se couchera plus, mais qui nous parvient encore du bout de notre parcours inachevé vers Pâques, par les fenêtres que nous avons ouvertes, découvrant le bon, le sale, dévoilant les scènes et les paysages, projetant aussi les ombres.

La Parole de ce jour éclaire notre vie. Elle raconte principalement l’histoire d’un aveugle de naissance guéri par Jésus. Des guérisons d’aveugles, les Evangiles en proposent plusieurs récits, où elles apparaissent comme des signes de la réalisation du règne messianique promis, ainsi que de la guérison des blessures d’ignorance du péché originel et de tout péché actuel. Mais dans le quatrième Evangile, le long récit, central dans la célébration du second scrutin des catéchumènes (où l’exorcisme particulier et la prière accompagnant l’imposition des mains insistent sur la libération de l’erreur et l’illumination), est proprement une catéchèse baptismale quasi complète sur la foi. En quelque sorte, voici que la lumière apporte une vision en trois dimensions. Nous y apprenons qui est Jésus Christ : le Messie qui accomplit les promesses messianiques de guérison et de libération, l’Envoyé que signifie la fontaine du même nom et son eau purifiante ; vrai homme et vrai Dieu qui manifeste la puissance divine. Vrai Dieu assurément, Fils unique engendré du Père et Verbe éternel : c’est dans cette péricope que l’on retrouve l’un de ces « Je suis » qui ponctuent le quatrième Evangile (le Bon pasteur, la Vigne véritable, la Voie, la Vérité et la Vie, ….), en écho au nom reçu du cœur du buisson ardent par Moïse (cf. Ex 3, 14), et qui Le présente comme lumière, ce que Jean répète à maintes reprises dans le Nouveau Testament.

Notre catéchèse parle aussi de Dieu en Lui-même. Voici Jésus, vrai Dieu et vrai homme, qui refait le geste créateur à partir de la boue et Son opération. Et, dans l’œuvre de la création, c’est la lumière créée, selon le récit de la Genèse, qui est la première, tout associée à la Parole créatrice, de sorte qu’il n’y a guère de doute sur ce que le Christ veut dire en Se dénommant Lumière qui repousse les ténèbres. Au geste créateur propre à Dieu, le récit associe le geste sauveur qui Lui est également propre : cet aveugle, marqué par la cécité du péché et que Dieu libère en l’envoyant se laver à la fontaine de Son envoyé, n’est-il pas l’humanité entière sur son chemin tâtonnant de salut selon le dessein divin ? En outre, la catéchèse de foi est aussi catéchèse sur la foi. Lumière venue de la Lumière pour éclairer cette part supérieure de la réalité que ne peut atteindre seule la raison naturelle, elle fait entrer dans le salut, en nous ouvrant au déploiement consenti et désiré de la vie de Dieu en nous et nous y fait coopérer et devenir ainsi, les yeux ouverts, enfants de la Lumière arrachés aux ténèbres et toujours rappelés à la lumière. Aux effets patents de la foi donnée et rendue, le récit ajoute l’illustration du chemin de la foi. Le geste du Christ Dieu Sauveur, gratuit et s’inscrivant dans le dessein d’amour et de gloire de Dieu (non de punition !), amorce le parcours de l’illumination. En fin de péricope, se déroule l’étape essentielle de l’adhésion personnelle, où le Christ Se fait connaître et reconnaître et pose la question, celle qui sera adressée à bien d’autres dans le quatrième Evangile (notamment à Marthe devant le tombeau de son frère Lazare), à laquelle chacun est appelé à répondre, et conduit par sa réponse à adorer, la première et la plus juste des attitudes devant Dieu. Elle est nécessaire, cette étape, sans laquelle celui qui a été illuminé ne connaît pas encore pleinement et sait « dire » sans justifier, ne parvenant donc pas à témoigne vraiment. De même, avec peut-être étonnement, mais sans surprise vu tout le quatrième Evangile et compte tenu de notre expérience personnelle, le parcours de foi semble inclure la controverse, où les questions sont soulevées, les objections avancées, et où il importe de « rendre raison de l’espérance qui est en nous » (1 P 3, 15). Apparaissent aussi les résistances : celle, par contraste avec l’homme guéri, l’aveuglement des docteurs de la Loi, dépositaires de la Sagesse et de la promesse, et qui nous enseigne que la foi ne peut être vivante et éclairante sans l’amour de Dieu ; celle de la peur, des parents comme des autorités d’Israël et qui conduira celles-ci à remettre Jésus à Pilate ; celle de tous les obstacles pseudo- et paralogiques, et autres arguties, à la vérité à l’exigence de laquelle renvoient sans filtre les remarques de l’aveugle guéri.

Enseignement capital et décisif pour les catéchumènes en route, la leçon de ce jour est tout aussi importante pour chaque baptisé. Il nous est rappelé que nous voyons (et devons voir) et vivons (et devons vivre) de cette lumière pascale, le Christ Lui-même, la Lumière véritable brillant en nous et nous entraînant dans la Lumière. Nous sommes invités à reconnaître et chérir le don de la foi, d’abord en redisant notre adhésion dans la lumière à Celui qui « est le chef de notre foi et la mène à sa perfection » (He 12, 2). Et, parce que la foi postule l’humilité, nous sommes justement ramenés à notre condition de mendiant : « Seigneur, fais que je voie » (Mc 10, 51), « Viens en aide à mon peu de foi ! » (Mc 9, 24).