La voie de l’enfance

par 19 Sep 20212021, Homélies, Temps Ordinaire

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Il n’a pas pris le chemin de grandeur, le Christ, pour nous sauver, mais la voie de la petitesse, mais la voie de l’enfance. Quand Jésus se compare à l’enfant, cela n’a rien d’attendrissant. C’est choquant, voire injuste. En effet, à cette époque l’enfant ne jouit pas d’une considération particulière. Le même mot va désigner l’enfant et le serviteur, l’esclave. L’enfant n’est pas encore vraiment un homme. Son avenir est incertain. Son utilité est quasi nulle. Il est intéressant par ce qu’il sera un jour, non pas par ce qu’il est. Devenir comme un enfant c’est choisir de ne pas être considéré, d’être soumis au premier venu, de vivre du bon plaisir des grands. Être livré, en quelque sorte.

Qui choisirait cette voie de son plein gré ? Tout en nous aspire à l’indépendance, à l’autosuffisance, à la grandeur. Quand on est fort et grand, alors il est bon de prendre soin des petits – cela, nous sommes prêts à l’accepter – mais devenir petit soi-même, mais choisir un abaissement, quel sens cela peut-il avoir ?

Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes… L’humanité de Jésus dit une double dépendance : il se reçoit du Père, il se donne aux hommes. D’abord, cette dépendance vis-à-vis de son Père. Une dépendance heureuse, confiante, pleine. Il se reçoit tout entier de son Père, et son Père se donne tout entier à son Fils. Le Père lui donne tout ce qu’il est, il lui donne son être même. Nous reconnaissons Jésus Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, l’Unique engendré. L’humanité que le Verbe éternel assume dans le sein de Marie dit ce mystère : sa grandeur, c’est de se recevoir d’un autre, de vivre du souffle de son Amour, d’être le Fils Bien-Aimé du Père. La petitesse de son humanité est une pure transparence de son immensité divine. Rien en Jésus ne fait obstacle au Père – qui m’a vu, a vu le Père, qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé.

Et puis, face à cette dépendance heureuse et pure, il y a une autre, dramatique, celle qui lie Jésus à nous, les hommes. Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes, ils le tueront. Il se donne tout entier à nous, et nous choisissons autre chose. Notre grandeur. Notre désir de posséder. Nos lubies, nos manies, nos habitudes, nos intérêts, notre gain – que tout cela vive, même si lui, le Fils de l’Homme, meure. Il nous contrarie ! Il s’oppose à notre conduite, il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu… Tant pis pour lui! S’il est le Fils de Dieu, comme il le prétend, alors Dieu l’assistera. Laissons faire le prince de ce monde et occupons-nous de nos affaires… Oh, nous n’allons pas nous opposer à lui, mais nous suivrons notre route, comme si rien n’était. L’annonce de la Passion nous terrorise, donc – on continue sur le chemin surtout en évitant de poser les questions. Nous avons une discussion bien plus importante – qui est le plus grand ?

Le plus riche ? Le plus puissant ? Le plus ouvert ? Le plus sympathique ? Le plus observant ? Le plus inventif ? Qui est le plus grand entre nous ? De cela, nous sommes prêts à discuter. Mais la Croix, et la Passion, et l’abandon, et le grand silence du samedi saint – est-ce vraiment pour nous ? Qui se tiendra au pieds du Fils de l’Homme quand il sera élevé ? Les petits. Les humbles. Les derniers. Madeleine. Le plus jeune des apôtres. Marie, l’humble servante.

Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes, ils le tueront et trois jours après sa mort, il ressuscitera. Le voilà, le but de l’abaissement divin: être relevé d’entre les morts. Nous relever d’entre les morts. Nous ouvrir un passage, une Pâque, qui nous secoue et nous jette hors de nos tombeaux, tel un nouveau-né jeté dans le monde. Être relevé, mais non pas par sa propre puissance, par celle du Père. Naître, devenir enfant, non pas selon la chair et le sang, mais dans la puissance de l’Esprit. Mourir donc à sa misérable et sourde grandeur, pour vivre d’une grandeur libre et immaculée de Dieu.