Les temps sont accomplis
Frères et sœurs,
Les temps sont accomplis, oui, mais cela fait bien un certain moment. Depuis 2000 ans à peu près, saint Paul n’arrête pas de nous rappeler que – « quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils » (Gal 4, 4). Que nous a apporté cette plénitude du temps en réalité ? Car le temps continue à passer comme si rien ne s’était passé, comme si la prétendue plénitude du temps n’était qu’une station parmi les autres stations de l’histoire, dont certaines étaient bonnes, merveilleuses, mais aussi tristes, douloureuses, apocalyptiques et tout cela en répétitions cycliques avec à chaque fois un autre décor. Et de plus, le temps présent donne souvent l’impression que quelque chose d’essentiel lui manque pour être appelé véritablement heureux : Avant c’était déjà mieux, dans l’avenir ça ira encore mieux à nouveau. Mais aujourd’hui, en vue d’un troisième confinement à l’horizon, un heureux avenir proche ne semble pas s’annoncer. S’ajoute à la pandémie, en politique, la confirmation du fameux principe du pédagogue Laurence Jonston Peter, cette loi qui dit que « dans une hiérarchie, tout employé à tendance à s’élever à son niveau d’incompétence », c’est-à-dire que l’on est promu sans cesse jusqu’au moment où l’on ne peut plus être promu, car l’on est arrivé à son zénith, sa plénitude personnelle du temps, mais qui est en même temps aussi le début de l’incompétence, car l’on a dépassé, par cette dernière promotion, la limite de ces compétences. Cela a comme conséquence « qu’avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité. » Donc, parler aujourd’hui au monde du fait que le temps est accompli, que la plénitude du temps est arrivée déjà il y a bien longtemps, est donc plutôt contreproductif, car aujourd’hui tout semble être pire et les perspectives ont la même couleur.
Mais ne nous contristons pas. Saint Paul nous encourage : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous » (Phil 4, 4). « Je vous le dis, frères : le temps se fait court. […] Car elle passe, la figure de ce monde » (1 Co 7, 29.31). Évidemment, en soi cela n’est pas encore tout à fait une consolation de savoir que le monde passe. La fugacité du monde peut elle aussi être une source de tristesse à moins que le temps s’unisse à l’éternité, à moins que brille dans les ténèbres du temps présent la lumière, ou au moins une étincelle de l’éternité. Et ce moment bien précis s’est réalisé au moment de la naissance de Jésus : « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils ». Depuis la naissance de Jésus, jusqu’à aujourd’hui, le temps présent n’est plus comme avant, le temps présent est imbibé dans l’éternité du Fils éternel. Par Jésus, le temps est enrichi par l’éternité et c’est pour cela que le temps est désormais si précieux. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps. En ce sens, le temps n’est pas une question d’une aiguille d’une montre ou d’un agenda qui s’oriente vers la dernière heure, quelque chose qui avec l’âge diminue et s’évapore. Non bien au contraire ! Le temps dans son éternité nous oriente vers notre perfection qui est déjà en nous. Le temps qui passe, perd ainsi son visage angoissant, le temps est ressenti comme un don de joie et d’espérance, car le « Royaume de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15). Mais le degré de la proximité du Règne de Dieu dépend de chacun de nous. « Repentez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15) nous dit Jésus. Cela veut dire, laissez-vous imprégner par l’éternité et par l’amour du Christ qui ont touché votre temps présent personnel. Ne perdez pas de temps pour réaliser pleinement que vous êtes fils et filles de Dieu. « La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils » (Gal 4, 6) nous dit saint Paul. L’éternité se trouve non en dehors de nous, mais à l’intérieur de nous. Nous ne pouvons plus regarder le temps présent comme ceux qui ne réalisent pas encore que c’est la foi en Christ qui triomphe sur le monde.
Frères et sœurs, unissez-vous à Jésus Christ qui est venu pour nous faire participer à sa vie, à son éternité, à son amour afin que nous soyons tous un autre Christ. Gustav Thibon avait dit : « L’amour sans éternité s’appelle angoisse, l’éternité sans amour s’appelle enfer ». En ce sens, soyons dans notre monde actuel des « pécheurs d’hommes » (Mc 1, 17), des messagers d’un temps que le monde ne peut pas donner, de ce temps qui est l’éternité, qui est l’amour divin auquel nous participons déjà si nous le voulons et si nous le voulons de plus en plus. Notre foi vaincra le monde, car si nous sommes amoureux du Christ maintenant, l’éternité sera encore trop courte.