La prédication qui fâche
A ces mots dans la synagogue tous devinrent furieux.
Il a tout gâché! En quatre phrases, Jésus perd son publique: il passe de l’admiration – ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche – à la furie meurtrière – à ces mots dans la synagogue tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville… pour le précipiter en bas.
Pourquoi une réaction si virulente? Pourtant, tout commençait si bien: un enfant du pays revient, auréolé de succès. Il annonce l’accomplissement de belles promesses du Seigneur, si désiré, si rêvé: aujourd’hui s’accomplit cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre. Cette parole est désormais si proche de nous, elle ne vient pas du fond des âges, ni des livres vénérables, c’est l’un des nôtres qui la proclame, le fils de Joseph, lui que nous connaissons si bien.
Et c’est là précisément que Jésus se rebiffe violement. Cette prétendue connaissance, cette familiarité se dresse, selon lui, tel un obstacle, entre le messager et ses auditeurs. Aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays.
Il refuse une réception superficielle de sa prédication: comme ce petit parle bien! – tant qu’elle ne s’accompagne pas d’un profond changement de regard. D’une conversion. D’où les exemples qu’il donne: deux étrangers qui découvrent le Dieu d’Israël et l’accueillent comme leur Sauveur. Pour les deux, cela implique un profond changement et un défi. La veuve de Sarepta est sauvée de la famine en risquant sa vie sur la parole du prophète Elie. Naaman brise son mouvement orgueilleux pour recevoir avec humilité l’ordre d’Elisée et être guéri par ce Dieu qui n’est pas d’emblée le sien. Ce Dieu qui n’est pas d’emblée le sien – peut-être, elle est là, la clef de ce que Jésus dit à ses compatriotes.
Si nous considérons Dieu comme une réalité acquise une fois pour toutes, si sa parole est pour nous une douce musique bien connue, si Jésus est juste un de nos frères qui a couru dans nos rues et a grandi sous nos regards, il nous manque cet étonnement, ce choc devant la grandeur de Dieu et devant la nécessité de notre propre changement. Nous pouvons rendre Dieu captif de notre habitude. Nous prenons sa grâce comme si elle nous était due. Nous recevons l’Eucharistie comme une banalité. Nous sommes prêts à entendre n’importe quelle parole de l’Ecriture, dire au prédicateur à la sortie de la messe – merci mon père, c’était une belle célébration – sans que cela change quoi que ce soit dans notre vie! Mais Jésus ne prêche pas pour que ces auditeurs l’admirent, il prêche pour que le Royaume de Dieu fasse irruption dans leur vie. Il faut que je puisse dire: je suis ce pauvre qui est assoiffé de la Bonne Nouvelle, je suis ce prisonnier qui aspire à la liberté, je suis cet aveugle qui désire la lumière, cette veuve de Sarepta, mourant de faim avec son fils, ce Naaman le syrien dévoré par la lèpre – viens me sauver!
Sans cette réponse de prière, de désir, de conversion, la prédication de Jésus glisse ou dérange. Comment ose-t-il suggérer que j’ai besoin de conversion? Moi, Monsieur, je ne suis pas du nombre de ces gens-là qui ne connaissent pas Dieu! Moi, je vois, moi, je vis dans la lumière, moi, je fais du bien! Qui est-il pour me comparer à des infidèles ou à me rappeler mon péché? Pour qui il se prend? Et l’auditoire pousse Jésus dehors, vers l’escarpement meurtrier.
Mes amis, nul ne sort indemne de la confrontation avec la Parole de Dieu. Ou bien elle nous poussera à nous convertir, ou bien nous chercherons l’étouffer. Quand nous voulons la retenir, elle se dérobe. Quand nous prétendons la connaître, elle s’échappe. Quand nous nous dispensons de nous convertir, elle, libre, suit son chemin. Puissions-nous la suivre!