Fête du Saint-Sacrement

par 2 Juin 20242024, Fête-Dieu, Homélies

fr. Clément o.p.

Le 11 juillet 2008 à 17h45, sœur Bernadette Moriau est devant le Saint-Sacrement dans la petite chapelle du couvent des sœurs franciscaines de Bresles dans l’Oise… Elle revient du pèlerinage de son diocèse à Lourdes. C’est son médecin traitant qui lui avait conseillé d’y aller. Elle souffre depuis 1966 d’une atteinte pluriradiculaire de la moelle épinière, une maladie plus communément appelée syndrome de la queue de cheval.  Diagnostiquée quand elle avait 27 ans, la maladie n’a cessé de s’aggraver. En 2008, sr Bernadette ne peut plus marcher, elle vit sous morphine. Seul un corset lui permet de se tenir droite tandis qu’une minerve lui maintient la tête et qu’un neurostimulateur soulage ses douleurs lombosciatiques. Elle n’espère aucune guérison. D’ailleurs, lors de la procession eucharistique des malades la semaine précédente à Lourdes, elle n’a même pas demandé au Seigneur d’être guérie. Elle a eu la certitude de la présence de Jésus lors du passage du Saint-Sacrement au milieu des brancards.Mais lorsque qu’il était auprès d’elle, elle n’a rien demandé pour elle-même. Elle a simplement renouvelé sa consécration à Jésus. Elle lui a offert sa maladie et lui a demandé de guérir ses frères et sœurs malades. C’était il y quelques jours à Lourdes au milieu de milliers de pèlerins mais ce soir du 11 juillet, elle est seule, face au Saint-Sacrement, dans leur petite chapelle. Et elle prie.

A 17h45 précise, elle sent une détente de son corps et une douce chaleur se répandre dans tous ses membres à partir de son cœur. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, et décide de terminer son temps d’adoration.Elle revient ensuite dans sa chambre.Et là,elle entend une voix lui dire: « enlève tes appareils » Dans un acte de foi, toute tremblante, elle s’exécute. Elle retire la pompe à morphine, le corset, la minerve, le neurostimulateur, elle enlève tout. Elle découvre stupéfaite que son pied tordu depuis des années s’est redressé. Toutes les incessantes douleurs qui l’assaillent depuis des années ont disparu.Elle se lève et va voir sa voisine de 88 ans, sr Marie-Albertine. Elle lui dit « Regarde ce qui m’arrive ! »Elles pleurent et prient et rendent grâce.

Ce soir-là, devant le Saint-Sacrement, tous les symptômes de sa maladie incurable ont disparu d’un seul coup. Et ils ne reviendront pas. Des dizaines de médecins et de spécialistes éplucheront son cas pendant 10 ans pour conclure finalement que la guérison de Mme Bernadette Moriau le 11 juillet 2008 est absolument inexplicable d’un point de vue scientifique. Et le 11 février 2018, 10 ans plus tard, l’Église la proclame officiellement 70e miraculée de Lourdes.

 

Alors, c’est vrai, il ne s’agit pas d’un miracle eucharistique au sens strict du mot, c’est-à-dire la transformation physique de l’hostie consacrée en chair humaine et du vin consacré en sang, mais il me semble toutefois que cette guérison miraculeuse devant le Saint-Sacrement nous éclaire sur quelques aspects essentiels du merveilleux mystère de l’Eucharistie que nous célébrons aujourd’hui.

 

Le premier aspect est une évidence – mais cela ne doit pas nous interdire de la rappeler inlassablement car si l’évidence est facile à dire, elle n’est pas nécessairement facile à croire. Cette évidence c’est que le Seigneur Jésus est réellement présent dans l’eucharistie. Et pour nous aider à croire en cette présence, on pourrait dire que l’Église a défini un dogme et Dieu a fait des miracles.

 

L’Église a choisi un mot spécial pour désigner cette présence si particulière de Jésus dans le Pain et le Vin : la transsubstantiation. Il est donc de foi catholique que dans le Pain et le Vin consacrés à la messe, le Corps et le Sang du Christ sont substantiellement présents. La réalité physico-chimique du pain et du vin ne change pas, vous l’avez remarqué, mais leur substance, leur être profond, se transforme en Corps et en Sang de Jésus. Or, vous le savez aussi, les dogmes ne sont pas définis pour mettre un point final à la réflexion ou pour interdire à notre intelligence de s’exercer. Non, ils sont là pour indiquer la bonne direction aux croyants, pour nous montrer dans quel sens nous pouvons approfondir sans crainte notre recherche de la vérité. En fait, les dogmes interdisent les solutions de facilités ou les réponses toutes faites. Ainsi, le dogme de la transsubstantiation interdit la solution de facilité qui aurait été d’affirmer que l’eucharistie n’est qu’un symbole. Ce dogme nous empêche de croire que Jésus, quand il a dit à ces disciples : « ceci est mon corps livré pour vous », voulait dire: « ceci représente mon corps, ce pain est un symbole de mon amour ». C’est sûr, si l’eucharistie n’était qu’un simple symbole, ça serait plus simple à croire. Précisément, le dogme nous interdit cette solution de facilité car ce serait trahir le Seigneur, rompre avec la Tradition et passer à côté du mystère. Non, le dogme nous oblige à prendre au sérieux la déclaration de Jésus. Il nous maintient face au mystère : Jésus est vraiment, substantiellement présent dans ce pain et ce vin. Et si le dogme nous maintient face au mystère, Dieu, dans sa providence, a opéré quelques miracles pour nous aider à entrer dedans.

 

Le Bx Carlo Acutis en a recensé une centaine. Il y a eu une centaine de miracles eucharistiques dans l’histoire de l’Église, c’est-à-dire une centaine de messes où le pain est devenu de la chair humaine et le vin est devenu du sang…. sachant qu’on célèbre plusieurs dizaine de millions de messes par an… autant dire que les miracles sont statistiquement plutôt rares ! Mais tout de même, ce n’est pas rien. Si vous avez la chance de faire un pèlerinage à Lanciano en Italie vous pourrez voir de vos yeux le morceau de myocarde, c’est-à-dire de cœur humain, apparu miraculeusement lors d’une messe au 8e siècle célébrée dans cette ville par un moine basilien. C’est le miracle le plus connu mais il y en a bien d’autre, comme celui de Bolsena qui a probablement poussé le Pape Urbain IV à instituer la fête que nous célébrons en 1264. A toutes les époques et sous toutes les latitudes, le Seigneur a donné à ses fils les signes dont ils avaient besoin pour croire. Dieu n’est pas avare en signes et en miracles. En réalité, comme le disait le philosophe Blaise Pascal, [il a] tempéré sa connaissance en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent et non à ceux qui ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Autrement dit la providence nous fournit suffisamment de miracles pourquoi croire que Jésus est présent dans l’eucharistie, mais ces miracles sont suffisamment discrets pour n’être décisifs que pour les âmes qui cherchent et qui désirent.

 

C’est pourquoi on peut dire que croire en la présence de Jésus dans l’eucharistie, c’est bien… mais… c’est s’arrêter à la moitié du chemin. Car Dieu ne se rend pas présent juste pour être localisé dans un endroit. Jésus n’a pas institué le sacrement de l’eucharistie, pour le plaisir de se reposer dans nos tabernacles. Dieu n’a pas donné un tel trésor à son peuple pour éprouver sa foi… mais pour attiser sa charité. Dieu ne veut pas être simplement cru dans l’eucharistie, il veut être aimé. Dieu ne veut pas simplement être vu, il veut être mangé. C’est pour s’unir à nous, pour nous communiquer sa grâce, pour nous faire partager sa vie que Jésus a institué l’eucharistie.

 

La liturgie le chante, nos prières le proclament : Dieu se fait nourriture et boisson car il veut nous nourrir et nous abreuver. Il ne s’agit donc plus seulement de croire mais d’expérimenter. Il ne s’agit pas seulement d’affirmer la présence de Jésus dans l’eucharistie, il s’agit d’en vivre… c’est-à-dire d’être nourris par elle, fortifiés par elle, guéris par elle, transformés par elle.

 

C’est cela que nous rappelle la guérison miraculeuse de sœur Bernadette devant le Saint-Sacrement. L’eucharistie vise à nous guérir, à nous transformer, à nous sanctifier. Certes, c’est rarement d’une manière aussi spectaculaire mais c’est toujours dans le même but : le Seigneur nous accueille tels que nous sommes mais son eucharistie nous transforme tel qu’Il nous veut.

 

Alors, frères et sœurs, ouvrons lui tout grands nos cœurs.

Accueillons le Seigneur qui se donne à nous.

Et réjouissons-nous,

Car il n’y a aucun dieu, qui se fasse aussi proche ! Ainsi soit-il !