Gaudete

par 22 Déc 20142014, Avent, Homélies

Sœurs et frères, où que vous alliez ces derniers temps, où que vous soyez, des jérémiades, des lamentations. Ah, le monde va mal ! Ah les temps sont durs ! Et l’on nous le gargarise, et l’on nous le serine. Les médias, fidèles à leur mission, nous en repaissent les oreilles et ils s’en donnent à cœur joie. Peut-être pour inciter à gémir et maugréer, peut-être pour insinuer la colère, instiller la révolte.

Gaudete ! Réjouissez-vous ! Tel est ce à quoi nous invite le dimanche d’aujourd’hui. Un dimanche un peu différent des autres non en tant qu’il nous exhorte à nous réjouir mais parce qu’il rappelle symboliquement que nous sommes au milieu de notre temps d’attente.

Non le Seigneur ne nous a pas oubliés. Non, il n’est pas vrai qu’il tarde à venir. Le Seigneur se manifestera en son temps. La moitié du temps de l’attente est déjà passée et il nous faut encore une autre petite moitié pour recevoir cet Enfant qui nous est donné, accueillir cet Enfant, notre délivrance.

Invités à la joie, il nous faut donc, sœurs et frères, nous réjouir, même si cela ne veut pas dire que tout va bien. La joie à laquelle nous sommes conviés, n’est certainement pas celle à la manière des médias, à la manière du monde. La joie évangélique, nous rappelle Saint Paul (Gal 5, 22), est un fruit de l’esprit, elle est sérénité, juste mesure, charité, paix, éloignement des intrigues. L’invitation à cette joie de l’Esprit sillonne les textes du dimanche d’aujourd’hui.

Dans la première lecture, le peuple de Dieu vit en exil. Il n’y a donc pas lieu de se réjouir. À l’époque, vous n’avez pas de cartes de crédits, pas d’allocations, de prestations sociales. Pour subsister, il fallait s’accrocher à sa terre. Et puis, c’est une question de dignité. Il y a comme un certain déshonneur à se faire virer de sa terre, de l’héritage de ses ancêtres. Surtout quand on croit que ce patrimoine vient directement de Dieu.

Aussi, Israël, dans l’humiliation de son exil, se souvient-il de ses terres. Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ! C’est pourtant là, loin de ses terres, c’est pourtant là au fond de sa misère, que Dieu est allé le rejoindre, le chercher. C’est dans son exil, au plus profond de sa souffrance, qu’il est allé lui tendre la main, le toucher. Peuple de Sion, peuple de Jérusalem trésaille de joie !

Le prophète Elie, symbolique de tout le peuple, en écho à Dieu qui fait signe, eut ce chant magnifique d’action de grâce : « Je tressaille de joie… mon âme exulte en mon Dieu (…) parce que le Seigneur Dieu fera germer la justice (…) devant toutes les nations » (Is 61, 1-3.10).

Sœurs et frères, vous reconnaissez naturellement les premiers mots du magnificat que nous entonnons si souvent nous-mêmes et que Luc met sur les lèvres de la jeune femme qui venait d’être l’objet d’une visite mystérieuse, et qui s’en pressait, dans son zèle missionnaire, dans un élan charitable, d’aller partager la nouvelle, communiquer sa joie à Élisabeth, sa parente. Luc a donc été chercher ces mots sous la plume du prophète Isaïe.

Mon âme trésaille de joie, mon esprit exulte en Dieu, car je sais que, depuis ma misère et ma bassesse, quelque chose de révolutionnaire, mieux, quelque chose d’inouï, est en train de se mettre en place. Les affamés auront du pain, les captifs seront libérés, les cœurs brisés, consolés. Jubilez, criez de joie ! C’est une année de bienfaits qui s’annonce, c’est le royaume qui est en marche, c’est la justice qui s’en vient !

Mais remarquez bien, sœurs et frères, cette justice, c’est celle de Dieu et non celle des hommes ! nous avons donc à la comprendre non dans le sens où peut l’entendre le monde, dans le sens profane, mais dans le sens biblique. Sinon, nous risquons de faire de Dieu un menteur. Car, et c’est là où les médias ont bien raison, il suffit d’ouvrir les yeux pour constater que c’est vrai, les choses vont mal.

Mais quand est-ce qu’elles ont été autrement ? Les hommes n’ont-ils pas toujours été les hommes, les prisonniers toujours en prison, les boiteux toujours boiteux ?

Les injustes n’ont pas cessé de l’être, l’ordre du monde n’a pas changé malgré quelques petites percées de lumière, malgré quelques éclaircies !

J’exulte de joie parce que quelque chose doit pourtant advenir. Le flambeau de l’espérance doit rester allumer malgré les nuages épais, il ne doit pas s’éteindre malgré la tempête. Il est fidèle, le Dieu de l’univers. Ce qu’il dit, quand c’est vraiment lui qui le dit, il le fait, et cela peut paraître prendre du temps, mais cela se fera quand même.

La justice divine est toutefois bien loin de la vision revancharde de la justice humaine. Souvent je me demande si elle est même rétributive, car songer à la rétribution c’est encore en appeler aux mérites, ce qui serait encore la rendre prisonnière de la loi du talion, de la justice vindicative.

Il faut bien pourtant que les exilés puissent rentrer chez eux, que les opprimés ne soient plus opprimés… Quand et comment cela se fera-t-il ? Nous n’avons sans doute pas la réponse. Mais si cette révolution parait impossible aux yeux du monde, elle reste possible, elle est même réelle pour ceux qui vivent par la foi et qui sont soutenus par l’espérance.
C’est grâce à cette espérance, c’est grâce à cette assurance que Paul, dans la deuxième lecture, quoiqu’écrivant à une communauté en situation de persécution, peut inviter à la joie : « frères, soyez toujours dans la joie, rendez grâce en toute circonstance » (1 Th 5, 16). Les temps peuvent donc être mauvais, les circonstances contraires, mais vous pouvez être joyeux, car ultimement, votre joie ne doit pas dépendre de la contingence, puisqu’elle s’enracine en Dieu, puisque c’est lui, le roc inébranlable, qui en est la source…

La joie dans l’évangile est dans le témoignage que donne Jean Baptiste : alors que tout semblait se réunir pour qu’il se fasse passer pour le messie, et devenir un imposteur, Jean eut le courage de dire la vérité : Je ne suis pas le Messie. Je n’en suis que l’annonciateur, et il est déjà là présent au milieu de nous et nous ne le reconnaissons pas !

Nous ne le reconnaissons pas parce que nous sommes peut-être encore trop modelés par le monde, il nous faut encore une conversion du regard, une conversion de cœur.

Sœurs et frères, Jean, dans son désert, est tout joyeux de rendre témoignage à la vérité. Et nous dans nos déserts d’aujourd’hui, et nous qui vivons au milieu d’un monde qui se fait un plaisir de se dire athée, comment témoignons-nous de Dieu, qui dans sa grandeur s’est toujours fait discret, tout petit, silencieux ?

La joie de l’évangile doit habiter le chrétien, irradier son cœur. Comment la vivons-nous, comment la partageons-nous : comme une simple émotion passagère ? En nous alignant sur ce qui se fait dans le monde ou en embrassant la croix qui empêche que la joie évangélique ne tourne au ricanement des buveurs de boissons fortes ?

Sœurs et frères, puisse la joie de l’Esprit être notre rempart. Amen.