La Transfiguration
En quoi la transfiguration de Jésus nous aide-t-elle à avancer sur le chemin du carême ? Une heureuse guérison, au moins, nous rendrait l’espérance. Des paroles pleines de miséricorde nous réconforteraient. Un appel vigoureux à changer nos cœurs nous stimulerait. Rien de cela. Au lieu de quoi nous assistons aujourd’hui à un prodige certes impressionnant mais le phénomène concerne seulement Jésus. Le spectacle est étonnant mais on en écoute le récit les bras croisés, un peu comme les disciples Pierre, Jean et Jacques qui restèrent les bras ballant, hébétés. La transfiguration de Jésus, c’est magnifique mais on ne sait pas quoi en faire, on ne sait pas quoi en penser, on se demande bien ce que cela pourrait nous apporter…
Le phénomène est en effet stupéfiant : le visage de Jésus devint tout autre, ses vêtements devinrent d’une blancheur éclatante. Et les trois disciples virent la gloire de Jésus. Jésus laisse voir en vérité ce qu’il est en réalité. La gloire de Dieu émane, rayonne de lui car il est le Fils bien-aimé, selon la voix perçue dans la nuée. Jésus est Dieu. Quelques temps auparavant, dans l’évangile de Luc, Pierre avait confessé dans la foi que Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant. Mais de la divinité de Jésus, Pierre ne l’avait perçu que par son humanité. Aujourd’hui Pierre entraperçoit plus immédiatement la divinité de son Messie : il est en complètement déconcerté, décontenancé, bouleversé. Et pourtant, Pierre ne savait-il pas que Jésus était Dieu, ne l’avait-il pas confessé le premier devant et au nom des apôtres ? Notre foi nous fait confesser des mystères qui nous dépassent, c’est vrai. Nous savons ce que nous affirmons dans la foi. Néanmoins ce que nous en disons, ce que nous en comprenons, demeure au-deçà de ce que nous confessons. Devons-nous pour autant, frères et sœurs, rester indéfiniment au seuil du mystère de la foi que nous confessons, aussi grand soit-il ? Ne restons pas les bras croisés ou ballant. Ne nous refugions pas dans une attitude expectative. On croit : on attend. On attend, et en attendant, on croit. N’aménageons pas non plus notre vie de foi dans un souci de confort : et si on plantait trois tentes, et si on s’installait gentiment ? Croire, c’est entrer plus avant dans le mystère de la foi. Croire, c’est découvrir aussi ce que nous sommes en réalité, c’est voir se lever en nous le voile de notre divinisation. N’est-ce pas prodigieux ? Croire, c’est être transfiguré. Croire, c’est se convertir…
La conversion…On y revient toujours. On n’est pas en carême pour rien ! Mais si par conversion on entend seulement l’attention envers le bien à faire, on en reste à une façon de faire qui est somme toute commune à toutes les religions : on accumule les efforts, on croule sous les prescriptions morales, on multiplie les pratiques que Dieu est en droit d’exiger de nous. Plus concrètement, on butte sur l’ensemble des Lois de Dieu, on se fait mal, on se fait du mal, on s’essouffle, on se décourage, et souvent on renonce. Or la foi au Christ n’établit pas une religion comme les autres. Bien avant d’être un ensemble de pratiques, la foi au Christ est d’abord une vision : nous voyons Dieu présent agir. Nous voyons Dieu agir en nous. Et plus encore : nous voyons Dieu nous transformer en Lui. Il nous transfigure, Il nous divinise, Il nous convertit. N’est-ce pas prodigieux ? Ainsi de même que Jésus révèle sa divinité sous son humanité, de même Jésus nous appelle-t-il à laisser voir notre divinisation sous notre conversion. Bien évidemment nos efforts de carême ne doivent pas être abolis. Mais si on les perçoit comme une série de lois supplémentaires à pratiquer, nous n’y trouverons guère de conviction. Et c’est bien normal, la pratique de la loi répugne à l’homme car elle a le poids insatisfaisant de la contrainte. A moins qu’on se satisfasse de s’admirer secrètement en train de pratiquer la loi : ce qui nous éloigne de la montagne de la Transfiguration. En revanche, si dans l’effort de charité auquel nous sommes appelé, nous voyons notre divinisation, la vie de Dieu en nous ; si nous voyons le partage de la vie de Dieu, c’est la charité, avec notre prochain, alors nos motivations du carême n’auront plus la même saveur. Ainsi notre conversion ne s’apparente plus à un effort extérieur mais s’avère une transfiguration de notre vie intérieure. Ainsi encore, avant de s’inquiéter de notre effort à poursuivre, admirons l’effort de Dieu en nous qui nous transfigure, admirons sa force divine qui nous transforme en Lui. Courbés sous le joug de la loi, ne pensons pas avec présomption que c’est nous qui travaillons pour Dieu. Mais réalisons avec admiration que c’est Dieu qui d’abord œuvre en nous. Il ne s’agit plus d’être en but perpétuel à la loi, aux pratiques, aux obligations. Ou du moins ne demeure-t-il qu’une loi, celle de la charité, la vie divine de Dieu qui en nous rayonne, qui nous transfigure.
Oui, nous croyons, mais je veux bien croire que notre foi nous pousse régulièrement au dépassement, à un élargissement de perspective pour découvrir ou redécouvrir que l’œuvre de Dieu en nous est toujours plus manifeste, plus grandiose, plus lumineuse, plus divine. Cette illumination doit alors atteindre le cœur de notre conversion qui est la réconciliation avec Dieu. « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » est un leitmotiv qu’on entend durant tout le carême, c’est également un refrain que les frères reprennent fréquemment ces temps-ci. « Laissez-vous réconcilier avec Dieu »… Ah ! mais si avant de demander pardon à Dieu pour nous fautes, nous avions à l’esprit la conviction chevillée au cœur que Dieu veut nous transfigurer, nous diviniser. C’est ça ! la conversion selon Dieu ! Et toutes nos bonnes œuvres suivraient, toutes nos bonnes actions s’enchaineraient, et d’effort contraint nous n’en parlerions presque plus (presque plus, j’ai dit !)…
Frères et soeurs, la conversion de l’homme est la réponse à la divinisation proposée par Dieu ; la conversion est le témoignage de notre transfiguration. N’est-ce pas prodigieux, frères et sœurs ? N’est-ce pas glorieux ? Amen