Comment et pourquoi devenir petit ?

par 23 Sep 20122012, Homélies, Temps Ordinaire

Sg, 12.17-20 ; Jc 3, 16 à 4, 3 ; Mc 9, 30-37
Jésus aujourd’hui nous conseille de devenir petits comme des enfants : « Comment et pourquoi devenir petit ? » Jésus conseille ses disciples en disant : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Pas très intéressant comme plan de carrière. Devenir serviteur n’est pas très payant aujourd’hui. On fait tout pour bien préparer son avenir en faisant des études, en se préparant à exercer un métier qui nous apportera la sécurité d’emploi et un avenir prometteur. On verra dans la première lecture que certaines personnes peuvent avoir du mépris pour une personne juste, pour les petits qui ont la foi et observe la loi. Jésus nous enseigne que Dieu a choisi d’être du côté du petit et du pauvre, des adultes qui deviennent comme des enfants.

Entrons dans notre célébration en demandant au Seigneur pardon d’être parfois méprisant, méfiant, cherchant le pouvoir, le contrôle de l’autre, se mettant de l’avant pour avoir la première place et la considération de tous. Demandons à Dieu de devenir comme des enfants qui cherchent à jouer naïvement le jeu de la confiance et de la vérité, sans méchanceté et sans fourberie.

Au livre de la sagesse, nous avons entendu l’auteur dire « Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie… » Le texte nous présente une situation, où, par la fourberie, on peut faire du mal en ayant gain de cause. Certes, nous ne voulons pas conduire quelqu’un à la mort. Il y a là une exagération de style littéraire pour faire bien comprendre comment nos mauvaises intentions peuvent conduire à la destruction d’une personnalité, à endommager sa réputation, détruisant le bien qu’elle peut faire. Alors, on ne tient pas compte de ses propres limites personnelles et on s’établit en juge prétentieux. Les intentions ne sont pas toujours orientées vers un souci de vérité. Montrer de l’agressivité contre un croyant fidèles à ses valeurs est peut être une façon de réagir parce que cette bonne conduite juge celui ou celle qui fait le mal.

Saint Jacques nous présente la jalousie et les rivalités comme des actions malfaisantes. La sagesse qui vient de Dieu est d’abord « droiture, paix, tolérance, compréhension ; elle est pleine de miséricorde et féconde en bienfaits, sans partialité et sans hypocrisie. » C’est ainsi que notre prière souvent ne porte pas fruit parce que nos intentions sont peut-être mauvaises. C’est dur à entendre. Le texte nous accuse de satisfaire nos instincts. Est-ce que saint Jacques ne va pas trop loin ?

Voilà que Jésus vient adoucir toutes ces considérations morales pour nous annoncer que, par sa puissance, qui lui vient de Dieu, il vaincra les forces du mal, en ressusitant, proclamant la justice du haut de sa croix, pardonnant, puis remettant sa vie et sa mort entre les mains de son Père des cieux. Pas de vaine gloire mais par lui, tout est accompli, justice est faite. Un nouveau Royaume est instauré par sa croix ; il vaincra le péché et la mort. Les disciples ont peur. Étrange ! D’où vient cette peur. Jésus n’est-il pas leur ami, celui qu’ils suivent et de qui ils se sont faits proches. Les disciples étaient encore loin d’une vraie compréhension du salut offert par Dieu en la personne de son Fils car il allait sauver le monde par la croix. Il traçait alors une voie de sainteté. Celui d’endurer les opprobres pour montrer que la douceur et la paix seront chemin de justice et de joie. C’est l’amour qui vaincra. On reconnaîtra que vous êtes mes disciples par l’amour que vous aurez les uns pour les autres, avait-il dit. Jésus invite à être serviteur par amour. Serviteurs et pas esclaves. Et pas seulement ami de ceux ou celles qui nous attirent parce qu’ils nous sont sympathiques, ou qu’on est d’accord avec eux, mais de toutes et de tous afin qu’ils soient accueillis comme des enfants qu’on aime et pour lesquels nous souhaitons de bonnes choses.

Les « premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers. » Les rôles sont renversés. Car c’est l’amour qui fait de nous des enfants de Dieu, qui nous fait premier dans le Royaume qu’il souhaite. La charité, et non le pouvoir, devient le mobile qui conduit la communauté nouvelle à devenir tous ensemble des saints. C’est la charité qui amène à une grande proximité avec le Christ, lui, la tête de son corps qui est l’Église et l’âme de toutes les activités terrestres. Un chrétien n’est pas une personne comme les autres. Il est serviteur de l’humanité par vocation, par appel, par motivation spirituelle, par souci de justice. À cause de lui le monde peut changer. Un serviteur ne peut devenir orgueilleux de son service envers les autres. Il peut pas vouloir dépasser son maître. Jésus fait comprendre qu’accueillir l’autre, c’est aussi accueillir le Christ, et qu’accueillir le Christ est source de vitalité et de bienfaits. Cela passe par le chemin de l’humilité voyant le Christ dans l’autre.

Durant mon absence estivale, j’ai reçu la notice nécrologique d’un humble frère convers qui vient de mourir à l’âge de 86 ans. Je l’avais connu au noviciat et puis au Couvent de Québec où j’allais souvent pour visiter maman dans un foyer de personnes âgées. Dans une notice nécrologique, normalement, tout en reconnaissant les défauts, on indique tout ce qu’on peut trouver de beau et de bien chez la personne. Mais voilà que celle-ci ne disait rien de bon ni de mauvais. L’auteur de la notice proposa plutôt d’y inscrire un résumé de ses lettres et de son journal spirituel, le laissant parler lui-même sans y ajouter de commentaires.

En entrant dans la vie religieuse dominicaine comme convers (c’est-à-dire, converti), le frère Jean-Marc, s’est engagé à prendre les moyens nécessaires pour devenir un saint. Toute sa vie il a été le plus petit des serviteurs : Il a travaillé à laver la vaisselle et à exercer le métier de buandier. À une époque il fut aussi désigné au « stocker », là où on déposait le charbon. Il avait la charge de pelleter le charbon dans la fournaise pour chauffer un couvent de quatre vient religieux. Il le fit pendant de longues années. Assez longtemps qu’il s’y brisa le dos et porta des ceintures orthopédiques pour se tenir debout. Une autre de ses fonctions était de conduire les prédicateurs en voitures à l’autobus ou le train. Au retour, il allait les chercher à la gare pour les ramener au Couvent.

Le frère Jean-Marc avait un problème de dépendance à l’alcool. Cela lui causa de nombreux soucis et l’amenait à commettre des fredaines pour lesquelles il demandait constamment pardon, jusqu’au moment où il refaisait la même chose. Il se cachait pour qu’on ne le voie pas en état d’ébriété. Puis il reprenait courage et s’évertuait à corriger sa situation. « J’ai réussi à m’abstenir quatre mois » écrit-il. Plus tard il fut guéri de sa dépendance dit-il par la sainte Vierge. Quel ne fut pas mon étonnement de découvrir après sa mort sa vie intime et spirituelle. Il écrit « Je demandais à Jésus et à Marie à la messe le matin d’avoir le courage de supporter ce petit mal pour mes péchés et pour approfondir ma foi en Dieu qui est Amour. » Aimant faire du vélo, frère Jean-Marc allait en forêts. Et il écrit « Entendre le chant des petits oiseaux, voir toutes ces belles petites bêtes qui courent ici et là dans les bois. » Cela le charmait et il ajoutait « Oui, combien Dieu nous aime pour nous donner de si belles choses gratuitement. » À la fin de sa vie, il écrit « Je remercie tous mes frères avec qui j’ai vécu ma vie religieuse et qui m’ont indiqué l’Agneau de Dieu dans ma vie et je demande pardon à ceux à qui j’ai pu faire de la peine. » Et il ajoute dans une prière qu’il adressait à Jésus : « Quand j’étais jeune, je Te cherchais en haut, et je T’ai trouvé… au-dedans de moi. Combien de fois, comme religieux, dans les bas moments de ma vie, je regardais le ciel plein d‘étoiles et la belle lune le soir à travers quelques nuages, et je me disais : Jésus, Tu es bien haut, Tu es loin. Mais Jésus et Marie m’ont tellement aimé que Jésus m’a donné la grâce de comprendre que son Paradis est dans mon cœur. Je remercie du fond du cœur Jésus et Marie de m’avoir éclairé. Je peux ajouter, à cause de mon âge : À bientôt, Jésus et Marie ! »

Il écrivait aussi : « Plus j’avance dans ma vie religieuse, plus je sens qu’on ne devient pas saint par la force de nos bras, mais plutôt par un abandon total en Jésus, avoir confiance dans sa grande miséricorde et son amour. »

Frères et sœurs, voilà un petit qui est grand dans le Royaume des cieux. Le père Lataste disait : « Il y a chez les grands pécheurs ce qui fait les grands saints ». Ces pécheurs ce sont des petits enfants de Dieu, comme vous et moi. Ne cherchons pas à être grand sur cette terre. Comme le frère Jean Marc, stockons le charbon de la fraternité dans les fournaises des cœurs glacés qui ont besoin d’être réchauffés par l’amour. Restons à notre place. Faisons notre boulot professionnellement et humblement, avec ardeur et joie, sous le regard de Dieu. Levons les yeux vers le ciel, car là est l’étoile qui nous éclaire, Jésus Christ. Là, il nous attend et nous y trouverons notre vraie place pour l’éternité. C’est la manière de devenir petit pour jouir un jour de la vraie grandeur qui est de tous se retrouver en Dieu, égaux et en communion. Amen.