Notre nature humaine
Sœurs et frères, beaucoup de prophètes ne semblent pouvoir ouvrir la bouche que pour tonner des malédictions, expectorer des injures, nous reprocher notre condition d’homme, comme s’il n’y avait que cela comme bonne nouvelle à nous annoncer. Maudire, c’est avant tout mal dire, médire, dire du mal ou encore ne voir que ce côté dans les choses, dans les personnes.
Dans la première lecture, Jérémie se plaint de devoir toujours crier violence, dévastation, pillage. Le prophète a raison, car il en avait sans doute lui-même croisé de ces enthousiastes qui ont peuplé l’histoire, qui ont prétendu parler de Dieu et qui n’ont parlé que pour jeter à terre, augurer des catastrophes, en appeler à la vengeance du ciel, quand ce ne sont pas eux-mêmes qui vengent à la place du ciel, et qui pillent et qui tuent.
Ces fanatiques, aujourd’hui encore, parlent toujours de Dieu avec arrogance et intolérance. L’air menaçant, ils brandissent qui, leurs gourdins, qui leurs couteaux de boucher, qui leurs kalachnikovs et vous disent : soumettez-vous ou on vous tranche la gorge, ou on vous fait éclater la cervelle !
Sœurs et frères, qui est ce Dieu terrible qui transforme ses messagers en prophètes de malheur, en assassins ; qui est ce Dieu qui préfère la dévastation, la désolation et la ruine à toute velléité d’autonomie, de liberté ?
Dieu serait-il un Dieu de violence, ou sont-ce les messagers qui se sont gourés ? Dieu ne se serait-il annoncé qu’à travers les torrents de feu et les ouragans, n’aurait-il que ce visage courroucé et sanguinaire à offrir ou, est-il autre, a-t-il parlé autrement pour dire autre chose ?
Existe-t-il d’autres façons de parler de Dieu que d’en appeler à la violence et au fanatisme ? Quelle est la bonne entrée possible ?
La bonne entrée, sœurs et frères, la bonne méthode, c’est Jérémie lui-même qui la donne : il faut se laisser séduire. Quand on se laisse vraiment séduire par Dieu, on n’en appelle pas à la violence, au châtiment, au pillage ; on ne maudit pas, car on voit le monde d’une manière autre, on voit les hommes et les femmes avec les yeux de Dieu, et l’on appelle à la douceur, à la miséricorde. Au lieu d’être un prophète de malheur, on devient un prophète de la miséricorde, de la compassion.
Mais alors, Dieu est-il un dieu bonbon, un dieu sans colonne vertébrale, qu’en est-il de la foudre de Jupiter, de la violence, de la vengeance divine ?
Il y a toujours, sœurs et frères, de la place pour la violence ; elle accompagne notre existence. Les films, la télévision, les romans, les rapports les uns avec les autres… tout ou presque nous rappelle que la vie elle-même est empreinte de violence.
La séduction est violence. Elle est une force, mais lente, douce. Elle n’est pas destructrice, ou plutôt si elle l’est, elle ne détruit que ce qui entrave son chemin. Et encore !
Nous savons que Dieu, quand bien même il est cette voix qui nous parle au fond de notre conscience, il nous laisse toujours la liberté de choix. Il est une force tranquille qui n’offre pas de résistance à nos résistances. Il ne fait pas violence. Sa séduction n’est qu’une sollicitation de notre volonté qui reste toujours libre de répondre.
Sœurs et frères, Jésus offre ce visage doux, paisible, non vengeur de Dieu. Tel un agneau qu’on emmène à la mort, nous prédisait déjà le prophète Isaïe, il n’offre pas de résistance. Insulté, il ne rendit pas l’insulte, maltraité il ne fit pas de menaces.
À peine sa messianité confessée, il s’est mis à expliquer en quoi elle devait consister : boire le calice qu’il devait boire.
Oui, sœurs et frères, nous l’avons entendu dans l’évangile du jour, il fallait que le Christ souffrît, qu’il fût rejeté par son propre peuple, par des autorités religieuses enfermées dans des dogmes, et qui se sont rendus aveugles, insensibles à la douceur, à l’humilité de ce même Dieu qui est venu à leur rencontre, ils se sont rendus insensibles à son effacement, son silence.
Et le chrétien, tel le Christ, image du Dieu invisible, le chrétien, dans la mesure où il est cohérent avec son credo, essaie de ne pas être quelqu’un de violent, qui en appelle à la vengeance, mais s’exerce à endurer la violence du monde, s’efforce de ne pas se dérober à sa vocation d’être le sel de la terre, s’évertue à ne pas déserter sa mission d’être le levain de la pâte. Le chrétien est celui qui prend sa croix et la porte à la suite du Christ.
Paul, dans la deuxième lecture, le rappelle, il nous invite à nous offrir nous-mêmes comme des victimes vivantes. Il ne s’agit pas d’offrir autrui, mais de s’offrir soi-même…
S’offrir soi-même, cela ne signifie pourtant pas être masochiste, cela ne signifie pas être un souffre-douleur. Pour que personne ne s’y trompe, pour qu’aucun chrétien ne croit que sa foi l’invite à accepter l’inacceptable, l’Apôtre rappelle que nous sommes des êtres raisonnables. Notre dimension rationnelle est là pour, même dans la religion, nous rappeler à l’équilibre, au bon sens, elle doit nous aider à discerner jusqu’où aller, jusqu’à quel moment il faut croire que c’est bien Dieu qui parle, et pas l’illusion, le délire, la folie humaine.
Nous ne sommes ni bêtes, ni anges mais des hommes avec des limites. Nous ne pouvons pas aller contre notre nature. L’évangile ne nous demande pas de nous renier nous-mêmes, puisque la grâce suppose la nature.
En conséquence, il faut composer avec cette nature qui est la nôtre, même s’il faut toujours être prudent, toujours rester en éveil par rapport à elle. Dieu ne peut pas être contre ce qu’il a fait, même s’il peut être contre ce que nous en avons fait.
Puisse, chrétiens, nous soyons pour le monde les témoins de la bonne nouvelle du Christ et non des fanatiques, des prophètes de malheurs. Amen.